Une décision de justice prise par la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pourrait remettre en cause l’un des fondements mêmes de l’Internet : la liberté d’expression. La cour a rendu son verdict sur une décision antérieure qui a tenu le site estonien de nouvelles Delfi.ee pour responsable des commentaires de ses utilisateurs.
Pour donner aux utilisateurs la liberté de s’exprimer, le site estonien populaire permet à ces derniers de rester dans l’anonymat. En 2006, des utilisateurs anonymes du site ont posté des commentaires qui ont été considérés comme diffamatoires envers le propriétaire d’une compagnie. Après avoir été notifié des commentaires de ses utilisateurs, Delfi a immédiatement procédé à leur suppression.
Le site estonien a toutefois été traduit en justice pour les commentaires offensifs de ses utilisateurs. Comme le rapporte la Media Legal Defence Initiative (MLDI), si les commentaires ont été jugés diffamatoires, l’article de Delfi en lui-même était équilibré et ne contenait pas de propos offensifs. La MLDI rejoint par 27 autres organisations de médias a donc défendu le cas du site estonien devant les tribunaux.
Ayant jugé en premier lieu, les tribunaux estoniens ont permis à la victime présumée de diffamation de poursuivre Delfi comme l'éditeur des commentaires, après que le site de nouvelles ait refusé de divulguer les informations relatives à l’identité des commentateurs. La décision donnée par la Cour suprême de l’Estonie a été confirmée par la chambre basse de la CEDH en 2013, qui a estimé que le jugement du tribunal estonien ne constituait aucune violation du droit de Delfi à la liberté d’expression.
Attendue pour donner son jugement sur l’affaire, la grande chambre de la CEDH a également donné le même verdict que le tribunal estonien et la chambre basse de la Cour européenne des droits de l’Homme.
Si la décision de justice contredit les normes existantes du Conseil de l'Europe et le droit de l'Union européenne, la grande chambre de la CEDH évoque un certain nombre de facteurs qui justifient son jugement. Delfi a été tenu responsable pour la nature « extrême » des commentaires qui selon le tribunal constitue un « discours de haine ». La deuxième raison est que ces commentaires ont été publiés sur un site de nouvelles qui est géré de manière professionnelle. Delfi n’aurait pas également pris suffisamment de mesures pour éliminer les commentaires offensifs et en plus, il y a une faible probabilité de poursuite des utilisateurs qui ont posté les commentaires.
La MLDI pense que ce jugement est incompatible avec les meilleures pratiques sur la responsabilité des intermédiaires. L’organisation de défense des médias avertit que cela pourrait conduire des sites de nouvelles à fermer leurs sections commentaires ou censurer une bonne partie des commentaires à chaque qu’ils auront un petit doute leur caractère non offensif. Cela limiterait sérieusement le débat public.
« Les sections réservées aux commentaires sont importantes », explique Peter Noorlander, le PDG de la MLDI; « elles permettent de débattre sur les questions d'intérêt public et sont devenues une partie intégrante des médias en ligne. Tenir les organisations responsables des commentaires des utilisateurs entrave la liberté d'expression », a-t-il déclaré.
Les partisans de la liberté d’expression s’indigent de cette décision qu’ils estiment être un coup sérieux aux droits des utilisateurs en ligne. « Malgré les avertissements des groupes de défense des internautes vulnérables, ainsi que de grandes entreprises médiatiques, la Cour a radicalement éloigné l'Internet de la libre expression et la protection de la vie privée qui ont créé l'Internet tel que nous le connaissons », a déclaré Peter Micek, Conseiller principal des politiques à Access.
Pour Raegan MacDonald, directeur de la politique européenne, cette décision « se traduira par de véritables défis à la liberté d'expression et l'anonymat en ligne. » Il poursuit en affirmant que le jugement donné par la Cour « risque de refroidir la liberté d'expression en ligne en Europe et au-delà. »
Sources : Jugement de la CEDH, Access, MLDI
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Les sites web seraient responsables des commentaires des utilisateurs
D'après la Cour européenne des droits de l'Homme
Les sites web seraient responsables des commentaires des utilisateurs
D'après la Cour européenne des droits de l'Homme
Le , par Michael Guilloux
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