
En janvier, Marc Andreessen, ingénieur logiciel et investisseur américain, a publié sur son compte X (ex-Twitter) un mème montrant une image de grands acteurs de l'IA, comme OpenAI et son rival chinois DeepSeek, en train de se battre pour dominer ce marché. À une table voisine, un personnage portant le drapeau de l'Union européenne est assis à l'écart, fixant sur son téléphone une image d'un bouchon en plastique attaché à une bouteille de boisson.
L'image que regarde la personne fait référence à une nouvelle exigence légale en Europe visant à encourager le recyclage. Le message subtil de Marc Andreessen : l'Europe se concentre sur les mauvaises batailles. « Il s'agit d'un défi existentiel », a écrit dans un rapport Mario Draghi, l'ancien président de la Banque centrale européenne qui a été chargé par l'Union européenne d'aider à diagnostiquer les raisons de « la stagnation de l'économie européenne ».
Selon un récent rapport de McKinsey, alors que la capitalisation boursière des entreprises mondiales de technologie, de médias et de télécommunications est passée de 7 000 milliards de dollars en 2000 à 34 000 milliards de dollars en 2024, la part de l'Europe a chuté de 30 % à seulement 7 %. Si l'Europe avait maintenu sa part, elle aurait généré une valeur de marché supplémentaire de 8 000 milliards de dollars. L'Europe reste donc dépendante des Big Tech étrangers.
Plusieurs obstacles structurels à l'émergence de géants du numérique
Dans un rapport publié en septembre dernier, Mario Draghi a pointé du doigt l'absence d'un secteur technologique florissant comme un facteur clé de la stagnation de l'économie européenne. « L'UE est faible dans le domaine des technologies émergentes qui seront le moteur de la croissance future », écrit-il. Bien qu'il existe des pôles technologiques tels que Paris et Londres, le poids de l'Europe dans l'industrie technologique mondiale est encore très faible.
Par exemple, seules quatre des 50 premières entreprises technologiques mondiales sont européennes, bien que l'Europe ait une population plus importante et un niveau d'éducation similaire à celui des États-Unis et qu'elle représente 21 % de la production économique mondiale. Aucune des dix premières entreprises investissant dans l'informatique quantique ne se trouve en Europe. Les investisseurs ont souligné des obstacles structurels persistants comme :
- une culture entrepreneuriale prudente : une aversion au risque limite l'innovation et la croissance rapide des startups ;
- des législations strictes : des lois du travail strictes et des réglementations étouffantes entravent la flexibilité nécessaire à l'essor des startups ;
- un financement insuffisant : le manque de capital-risque et de financements privés empêche les startups de passer à l'échelle supérieure ;
- un marché fragmenté : la diversité des réglementations et des langues au sein de l'UE complique l'expansion transfrontalière des entreprises.
En outre, l'Europe est dominée par des industries de la vieille école, comme les automobiles et les banques, qui ont extrait des gains de productivité il y a longtemps. Selon le Fonds monétaire international, l'entreprise type figurant parmi les dix premières sociétés cotées en bourse aux États-Unis a été fondée en 1985, alors qu'en Europe, elle l'a été en 1911. Et les discussions sur la souveraineté numérique ne débouchent pas sur des solutions concrètes.
D'autres statistiques révèlent qu'à la fin des années 1990, lorsque la révolution numérique a commencé, le travailleur européen moyen produisait 95 % de l'heure de travail de ses homologues américains. Aujourd'hui, les Européens produisent moins de 80 %. L'économie de l'UE est aujourd'hui un tiers plus petite que celle des États-Unis et reste au ralenti, avec une croissance trois fois inférieure à celle des États-Unis au cours des deux dernières années.
Le décollage lent de l'Europe après la première révolution numérique
Pour certains critiques, l'Europe a largement manqué la première révolution numérique. D'autres rejettent cette idée. En effet, l'Europe a connu des débuts prometteurs. Au début de la révolution numérique, dans les années 1990, l'Europe comptait de grandes sociétés de semiconducteurs (ASML, basée aux Pays-Bas, ARM, basée en Grande-Bretagne), des géants du logiciel (SAP, basée en Allemagne) et le leader de la téléphonie mobile Nokia, basé en Finlande.
— Marc Andreessen 🇺🇸 (@pmarca) January 26, 2025
Le Web (World Wide Web) a été inventé en 1989 par un Britannique, Tim Berners-Lee, qui travaillait dans un centre de recherche européen, le CERN. Mais contrairement à la croissance explosive de l'innovation qui a suivi cette période aux États-Unis, le décollage du secteur numérique a été beaucoup plus lent en Europe qu'aux États-Unis. Le capital-risque est arrivé relativement tard, et le continent semble désormais faire face à une « dynamique descendante ».
L'Europe dispose d'universités de recherche de classe mondiale et d'un vaste réservoir de talents en ingénierie et en science, dont une grande partie est séduite et capturée par les plus grandes firmes technologiques américaines. Spotify et les sociétés de fintech Revolut et Klarna sont des exemples de réussite sur le continent. Mais les nouveaux projets ambitieux peinent à émerger et l’écosystème de la technologie ne parvient pas à améliorer son dynamisme.
En effet, l'une des principales raisons du retard de l'Europe peut se résumer à un manque de rapidité. Les entrepreneurs se plaignent que tout prend plus de temps en Europe : lever des fonds, se conformer aux réglementations locales, embaucher et licencier des travailleurs. Au cours de la dernière décennie, plusieurs sociétés américaines de capital-risque se sont installées en Europe, dont Sequoia Capital, Lightspeed et Iconiq. Mais des défis restent à relever.
« En Allemagne, les gens sont tout simplement trop prudents », a déclaré Karlheinz Brandenburg, l'ingénieur allemand qui a contribué à l'invention du format de compression audio numérique MP3. Le résultat est souvent l'exode des talents ou le déménagement des startups européens dans la Silicon Valley.
Un exode des talents causé par le manque de dynamisme en Europe
« Ce qui est différent en Amérique, c'est la rapidité de presque tout. Les Américains prennent des décisions très rapidement. Les Européens ont besoin de parler à tout le monde ; cela prend des mois », a déclaré Fabrizio Capobianco, un des premiers entrepreneurs technologiques italiens qui a vécu pendant des décennies dans la Silicon Valley. D'après Fabrizio Capobianco, il sera difficile, voire presque impossible, de reproduire la Silicon Valley en Europe.
Fabrizio Capobianco, qui est rentré en Italie il y a trois ans, est en train de construire une usine à startups dans les Alpes italiennes pour repérer les entreprises technologiques européennes. Le prix pour les gagnants : un aller simple pour la Silicon Valley. Ce qui exacerbe la fuite des talents.
Thomas Odenwald, un entrepreneur technologique allemand, a quitté la Silicon Valley en janvier de l'année dernière pour rejoindre Aleph Alpha, une startup basée à Heidelberg, en Allemagne, dont l'objectif est de se mesurer au leader du secteur, OpenAI. Thomas Odenwald a passé près de trente ans à travailler en Californie, mais il espérait pouvoir contribuer à la création d'un géant européen de la technologie capable de rivaliser avec les Américains.
Il a été choqué par ce qu'il a vu. Ses collègues manquaient de « compétences en ingénierie ». Aucun membre de son équipe n'avait d'options d'achat d'actions, ce qui réduisait leur motivation à réussir. Tout se déroulait lentement. Au bout de deux mois, il a démissionné et est rentré en Californie. En Europe, la plupart des...
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