
Ce soutien illustre surtout l’arrogance d’une industrie qui, malgré son influence, reste aveugle à ses propres contradictions. Les milliardaires de la tech ont cru pouvoir instrumentaliser Trump pour servir leurs intérêts, mais ont sous-estimé son chaos institutionnel et son incompétence stratégique. Leur silence actuel, après des mois de promotion active, trahit une gêne face à l’échec patent de leur pari. Derrière les discours sur le « progrès », c’est bien une logique de rente à court terme et un mépris des dynamiques socio-économiques complexes qui dominent ; une tendance déjà dénoncée dans les critiques sur l’hubris des dirigeants technologiques, incapables de reconnaître que leur succès tient autant à la chance qu’à leur intelligence. La droite technologique n’a pas été trahie par Trump : elle a simplement été confrontée aux conséquences de son propre cynisme.
L’année dernière, une faction influente de milliardaires de la tech a fait volte-face en apportant son soutien à Donald Trump, pourtant perçu comme une menace démocratique et économique par beaucoup d’entre eux quelques années plus tôt. Marc Andreessen, investisseur capital-risque, avait en 2016 qualifié Hillary Clinton de « choix évident », jugeant les propositions migratoires de Trump « nauséabondes ». Elon Musk, autrefois partisan des politiques climatiques d’Obama, a lui aussi rejoint ce revirement. Pourtant, en 2024, ces figures emblématiques de la Silicon Valley se sont ralliées à un candidat ouvertement autoritaire, défenseur de l’insurrection du 6 janvier.
Officiellement, leur soutien s’expliquait par des raisons économiques : Trump promettait un allègement réglementaire pour leurs entreprises, des baisses d’impôts sur le capital, et une accélération de l’innovation technologique au nom de la compétitivité américaine face à la Chine. Trois mois après son entrée en fonction, il a effectivement concédé des assouplissements réglementaires, notamment pour les secteurs de la crypto et de l’IA. Mais loin de stimuler la croissance ou la suprématie technologique des États-Unis, sa présidence s’est révélée un désastre sur ces deux fronts.
Le calcul des magnats de la tech était simple : sous Biden, leurs intérêts matériels semblaient menacés. L’administration démocrate durcissait la régulation des cryptomonnaies, renforçait les lois antitrust, envisageait de taxer les plus-values latentes, et encadrait le développement de l’IA. S’y ajoutait un malaise culturel : une partie de la gauche « woke » était perçue comme hostile à la réussite économique et aux valeurs traditionnelles de l’élite technologique, majoritairement blanche et masculine. Trump, en revanche, leur offrait une promesse claire : un bouclier contre ces « menaces », à la fois fiscales et idéologiques.
Tesla pourrait être le principal bénéficiaire du retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Un rapport révèle que l'équipe Trump cherche à assouplir les règles pour les voitures autonomes et la réglementation mise à jour devrait être favorable à Elon Musk, PDG de Tesla. Les règles actuelles constituent des obstacles pour Tesla qui cherche à construire des véhicules autonomes sans volant ni pédale, mais l'équipe Trump pourrait lever ces barrières. Selon les experts, des règles laxistes pourraient entraver la sécurité des véhicules autonomes, alors que les logiciels Autopilot et Full Self-Driving de Tesla sont déjà sujets à de nombreuses préoccupations.
Certains, comme Andreessen et Ben Horowitz, sont allés plus loin, présentant Trump comme le sauveur de « l’avenir de l’Amérique ». Dans un manifeste, ils alertaient sur la stagnation économique et la perte d’influence face à la Chine, affirmant que seule une présidence Trump pourrait relancer l’innovation et éviter un déclin géopolitique. Pourtant, leur pari a échoué de manière spectaculaire.
Plutôt que d’accélérer la croissance, les politiques de Trump l’ont étranglée. Ses droits de douane massifs – jusqu’à 145 % sur les importations chinoises – ont plongé des startups dépendantes des supply chains asiatiques au bord de la faillite, tout en décourageant les introductions en Bourse et les fusions. Le S&P 500, reflet de la santé économique, a stagné, contrairement au Bitcoin, dont la valeur a grimpé – preuve que seuls les actifs spéculatifs, et non l’économie réelle, ont profité de sa présidence.
Pire, ces mesures ont déclenché une contraction du PIB (-2,2 % prévu ce trimestre) et une chute des commandes industrielles, notamment dans l’État de New York. En sapant la confiance des investisseurs et en affaiblissant le dollar comme monnaie de réserve mondiale, Trump a fragilisé la position géopolitique des États-Unis, exactement l’inverse de ce qu’Andreessen et Horowitz espéraient.
L’administration Trump a parallèlement réduit les financements publics pour la recherche scientifique, pourtant vitale pour l’innovation. Les subventions en ARN messager (pourtant cruciales pour la médecine) ont été soumises à l’arbitraire de Robert F. Kennedy Jr., antivax notoire. Les coupes dans les programmes énergétiques et les licenciements à la FDA ont ralenti le développement technologique et médical.
Enfin, en expulsant des milliers d’étudiants étrangers et en harcelant les chercheurs immigrés (comme cette scientifique de Harvard arrêtée pour un dossier administratif mineur), Trump a poussé les talents à fuir les États-Unis. Une étude révèle que 75 % des scientifiques étrangers envisagent désormais de quitter le pays.
Si la droite technologique a cru pouvoir instrumentaliser Trump, c’est elle qui s’est fait manipuler. Ses politiques ont anéanti les arguments mêmes avancés pour justifier son soutien : croissance, innovation et puissance américaine. Reste une explication plus cynique : le calcul à court terme de profits deregulated, quitte à sacrifier la stabilité économique et la crédibilité internationale des États-Unis. Le silence récent d’Andreessen sur les réseaux sociaux en dit long : ceux qui ont porté Trump au pouvoir préfèrent désormais se taire, face à l’étendue du désastre.
L’illusion techno-libérale et le piège trumpiste
Le soutien de la Silicon Valley à Donald Trump en 2024 est un révélateur implacable des contradictions d’une industrie qui a érigé le « disruptif » en dogme, tout en succombant aux mêmes travers qu’elle prétendait combattre. Ce ralliement, motivé par une alliance toxique entre opportunisme fiscal et ressentiment anti-progressiste, expose trois failles majeures :
Le mythe de la rationalité technocratique : Les élites de la tech ont cru pouvoir « hacker » le système politique comme un bug algorithmique, en instrumentalisant Trump pour obtenir des baisses d’impôts ou une dérégulation. En réalité, elles ont sous-estimé l’instabilité systémique qu’il génère – un paradoxe pour des acteurs qui vantent leur approche « data-driven ». Leur erreur ? Confondre optimisation comptable à court terme et résilience institutionnelle, comme le ferait un...
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