Aujourd'hui, le nombre de dispositifs connectés à Internet (ordinateurs, smartphones, objets connectés) se compte probablement en milliards d'unités. Mais pour s'identifier et communiquer entre eux, ces appareils ont besoin d'une adresse IP unique. L'IPv4 attribue une série de quatre nombres (chacun allant de 0 à 255) à chaque appareil. Théoriquement, cela limite le nombre d’adresses IP disponibles à seulement 4 milliards. Mais, dans la pratique, il y a une mauvaise allocation qui réduit encore le nombre d’appareils qui peuvent se voir attribuer une adresse IPv4. Avec le succès de l’Internet et ses usages multiples dans l’ère des objets connectés, l’espace d’adressage du protocole IPv4 a donc atteint ses limites et, en 2016, l'IAB (Internet Architecture Board) a annoncé que le pool d'adresses IPv4 non attribuées a été épuisé. La solution aujourd'hui est donc de passer à la nouvelle version du protocole Internet : IPv6.
L’IPv6 permet en effet de remédier au problème d’épuisement des adresses IP avec un espace d’adressage quasi illimité, capable de répondre aux besoins actuels et anticipés. Il permet d’attribuer à chaque terminal ou nœud du réseau une adresse IP individuelle afin de le rendre accessible directement depuis n’importe quel point du réseau Internet. Il offre en plus l’opportunité d’identifier plusieurs « objets matériels ou logiciels » au sein d'un terminal ou serveur donné. Au-delà de sa capacité d’adressage, l’IPv6 intègre de nouvelles fonctionnalités permettant par exemple de simplifier certaines fonctions de la couche réseau, telles que le routage et la mobilité, ou d’assurer nativement une meilleure sécurisation des échanges.
Il y a quatre ans, nous avons officiellement épuisé les plages d’adresses IPv4 à allouer, et depuis lors, ceux qui souhaitent une nouvelle adresse IPv4 publique ont dû compter sur les plages d’adresses récupérées, soit auprès d’organisations qui ferment soit auprès de celles qui rendent les adresses qu’elles n’utilisent plus lorsqu’elles migrent vers l’IPv6.
Selon la division cloud d’Amazon, la difficulté à obtenir des adresses IPv4 publiques a fait augmenter le coût d’acquisition d’une seule adresse de plus de 300 % au cours des cinq dernières années. La grande enseigne du cloud a donc décidé de répercuter ces coûts sur ses utilisateurs.
« Cette modification reflète nos propres coûts et vise également à vous inciter à être un peu plus économe dans votre utilisation des adresses IPv4 publiques et à réfléchir à accélérer votre adoption de l’IPv6 comme mesure de modernisation et de conservation », écrit Jeff Barr, évangéliste en chef d’AWS, sur le blog d’actualités de l’entreprise.
La mise à jour entrera en vigueur le 1er février 2024, date à laquelle les clients d’AWS verront une facturation de 0,005 $ (un demi-centime) par adresse IP par heure pour toutes les adresses IPv4 publiques. Ces frais s’appliqueront que l’adresse soit attachée à un service ou non, et comme beaucoup de frais AWS, ils semblent insignifiants au premier abord, mais peuvent s’accumuler avec le temps si un client en utilise beaucoup.
Ces frais s’appliqueront à tous les services AWS, y compris EC2, les instances de base de données Relational Database Service (RDS), les nœuds Elastic Kubernetes Service (EKS), et s’appliqueront dans toutes les régions AWS, a indiqué la société. Toutefois, les clients ne seront pas facturés pour les adresses IP qu’ils possèdent et qu’ils apportent à AWS en utilisant la fonctionnalité BYOIP (Bring Your Own IP) d’Amazon.
AWS propose une offre gratuite pour EC2, qui comprendra 750 heures d’utilisation d’adresses IPv4 publiques par mois pendant les 12 premiers mois, à partir de la même date que les frais. Pour essayer d’aider les clients à se faire une idée de l’impact que cela pourrait avoir sur leur facture AWS, la société a indiqué qu’elle ajoutait des informations sur les adresses IPv4 publiques au rapport AWS Cost and Usage Report (CUR). Elle a également dévoilé une nouvelle fonctionnalité de gestion des adresses IP Amazon VPC (IPAM) appelée Public IP Insights, qui vise à simplifier l’analyse et l’audit des adresses IPv4 publiques1.
10 ans plus tard, où en est l'adoption de l'IPv6 ?
Cela fait maintenant plus d’une décennie que l’IPv6 a été officiellement lancé, mais son adoption a été lente et progressive. Bien que le monde ait officiellement épuisé les adresses IPv4 non allouées en 2019, selon le registre Internet régional européen RIPE, il a publié des chiffres l’année dernière montrant que la table de routage IPv4 comptait encore six fois plus d’entrées que celle de l’IPv6.
AWS espère que sa décision de facturer les adresses IPv4 publiques incitera ses clients à accélérer leur transition vers l’IPv6, qui offre non seulement plus d’espace d’adressage, mais aussi des avantages en termes de performance, de sécurité et de simplicité.
Mais qu’est-ce qui peut expliquer la lenteur de la transition vers ce protocole ?
Une étude a été menée du fait qu’il y a un besoin de mieux comprendre les motivations économiques derrière la « mise à niveau » de l’IPv4 vers IPv6. L’étude a examiné des données quantitatives sur les niveaux actuels et les tendances de l’adoption de l’IPv6. L’étude s’intitule : « The Hidden Standards War: Economic Factors Affecting IPv6 Deployment », elle cherche à expliquer les données en se basant sur une analyse des motivations économiques affectant les opérateurs de réseau.
L’étude cherche à appréhender plusieurs problématiques, notamment la compétition en cours entre IPv4 et IPv6 qui a de grandes implications sur le futur d’internet selon les auteurs. « Cet internet à standards mixtes constitue-t-il un phénomène de passage, ou bien allons-nous rester coincés dans cette mixité ? S’il s’agit seulement d’une phase transitoire d’une guerre de standards et l’un d’eux va prévaloir, lequel va gagner ? Si IPv6 domine, combien de temps nous faudra-t-il pour en arriver là ? Est-il possible que l’IPv6 perde en réalité la compétition des standards et devienne un “orphelin” proverbial de la littérature des standards économiques ?”
Les chercheurs ont noté que personne n’exploite l’IPv6 seul ; tous les opérateurs réseau, qu’ils soient publics ou privés, doivent offrir la meilleure compatibilité possible avec les autres réseaux et le plus possible de points finaux et d’applications. En prenant en considération cette contrainte fondamentale, les opérateurs ont trois options :
- Rester sur l’IPv4 (ne rien faire)
- Exploiter IPv4 et IPv6 (implémenter un dual stack)
- Tourner un IPv6 natif avec les parts compatibles de leur réseau avec une sorte de “tunnellisation” ou traduction aux limites pour le rendre compatible avec l’IPv4.
L’étude a montré que le deuxième choix n’est pas viable économiquement. C’est le troisième choix qui serait le plus logique pour certains réseaux émergents. Les chercheurs ont montré aussi qu’il n’existe pas de différence entre les réseaux qui ont choisi différentes options, ils ont accès au même internet après tout. Un autre point important est que les coûts liés au déploiement sont exclusivement à la charge des réseaux qui déploient l’IPv6. En effet, ils doivent faire des investissements en infrastructure et de formation, et subir des coûts de compatibilité. Les autres réseaux qui choisissent de rester sur l’IPv4 doivent payer seulement pour des numéros supplémentaires, et seulement s’ils en ont besoin pour leur développement.
En parlant de coût, l’étude a trouvé une forte corrélation entre les niveaux de déploiement de l’IPv6 et la richesse d’un pays (mesurée en termes de PIB). Le PIB par habitant explique près de la moitié de la variation des niveaux de déploiement de l’IPv6 à travers les pays. Cependant, l’étude n’a pas trouvé une corrélation entre le déploiement de l’IPv6 par un opérateur réseau et les changements de part de marché. Les chercheurs ont noté que ce constat serait lié à deux raisons :
- La présence de plusieurs acteurs sur un marché augmente les chances que l’un d’eux va faire un choix arbitraire de déploiement.
- Un marché plus ouvert permet l’entrée de nouvelles firmes (comme cela a été le cas de Jio en Inde) avec des infrastructures plus modernes, et qui sont plus favorables à la structure du coût pour l’IPv6.
La bonne nouvelle est que le déploiement de l’IPv6 est tout à fait logique d’un point de vue économique pour les opérateurs qui ont besoin de se développer. La mauvaise nouvelle est que plusieurs réseaux n’ont pas besoin de grandir à ce point. Et même s’ils en ont besoin, ils seraient contraints d’assurer une compatibilité avec l’écosystème logiciel et matériel lié à l’IPv4 et qui avance au ralenti, ont écrit les auteurs.
On pourrait ajouter trois autres problèmes ou symptômes qui ont contribué à l’échec du déploiement de l’IPv6 :
- Il y a beaucoup de différences entre IPv6 et IPv4, ce qui a rendu la transition plus difficile.
- La promotion de l’IPv6 a commencé bien avant qu’une demande réelle existe. Bien évidemment, il est toujours bon de préparer les gens (et les fabricants), mais ça a donné l’impression que l’IPv6 est un échec.
- La demande pour l’IPv6 est asymétrique. D’une part vous avez une partie qui est à court d’adresses IPv4 et qui a besoin de l’IPv6, et d’autre part, il y a les autres qui ont assez d’adresses IPv4 et n’ont aucune raison de changer.
Sources : AWS, adoption IPv6 selon Google
Et vous ?
Que pensez-vous de la décision d’AWS de facturer les adresses IPv4 publiques ?
Avez-vous déjà migré vers l’IPv6 ou envisagez-vous de le faire prochainement ?
Quels sont les avantages et les inconvénients de l’IPv6 par rapport à l’IPv4 ?
Quels sont les défis ou les difficultés que vous avez rencontrés ou que vous anticipez lors de la transition vers l’IPv6 ?
Quelles sont les meilleures pratiques ou les conseils que vous pouvez partager pour réussir la migration vers l’IPv6 ?