La Standard Oil (Standard Oil Company and Trust) fut une société américaine qui, de 1870 à 1911, a constitué l'empire industriel de John Davison Rockefeller et de ses associés, contrôlant la quasi-totalité de la production, du traitement, de la commercialisation et du transport du pétrole aux États-Unis. Le mégamonopole détenu par John Rockefeller a finalement été démantelé en 34 sociétés distinctes dans le cadre de l'une des mesures antitrust les plus sévères de l'histoire des États-Unis. Comme beaucoup aiment le dire aujourd'hui : "les données sont le nouveau pétrole". De ce fait, il n'est pas question de laisser une nouvelle Standard Oil voir le jour.
L'UE et les États-Unis, ainsi que de nombreux régulateurs dans le monde, partagent le même avis sur le sujet. Jonathan Kanter, procureur général adjoint du ministère américain de la Justice, a déclaré que comme le pétrole avant lui, la technologie en 2023 représente "l'élément vital" de la société moderne. Il s'en est pris violemment aux Big Tech dans un discours à la conférence State Of the Net lundi en comparant leur monopole à celle qu'a exercée autrefois la Standard Oil sur l'industrie pétrolière. Le rappel du démantèlement spectaculaire de la Standard Oil donne aux Big Tech une idée de l'état d'esprit du principal adversaire de leur mégamonopole.
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— State of the Net Series on March 6, 2023 (@SOTN) March 6, 2023
Kanter a déjà déployé ses armes contre la toute-puissance de Google, qui détient un monopole indiscutable sur le marché de la recherche en ligne, mais également sur celui de la publicité numérique. Google est accusé de profiter des données recueillies par le biais de son moteur de recherche pour optimiser les performances de son activité publicitaire, consolidant sa position dominante sur ces marchés. Ainsi, l'une des actions intentées par le ministère américain de la Justice (DOJ) vise à séparer les activités de recherche de Google de ses activités de publicité numérique, dans ce qui pourrait être l'exemple le plus proche de l'histoire de Standard Oil.
En janvier, Kanter a annoncé une action en justice explosive du DOJ contre Google, l'accusant de maintenir un monopole illégal sur le marché de la publicité en ligne. Il vise notamment à séparer certaines parties de l'activité publicitaire de Google du reste de l'entreprise. Une autre enquête antitrust en cours sur Google Maps suggère que l'agence pourrait être intéressée par une remise en cause de la domination du géant de Mountain View sur les services de cartographie numérique. Fin février, les avocats du DOJ ont accusé Google de destruction de preuves et ont demandé à un juge fédéral de prendre les mesures appropriées pour sanctionner la société.
Dans une tribune publiée en janvier dans le Wall Street Journal, le président américain Joe Biden a mis en garde contre le fait que certains acteurs du secteur de la technologie entravent la concurrence loyale, violent les droits à la vie privée des consommateurs et encouragent les discours extrémistes. Il a appelé les républicains et les démocrates du Congrès à travailler ensemble pour adopter une loi bipartisane forte afin de responsabiliser les Big Tech et les mettre au pas. Cet appel intervient quelques jours après que la Chambre, dominée par les républicains, a annoncé une enquête sur une collusion présumée entre la Maison-Blanche et les Big Tech.
Dans son discours lundi, Kanter a également abordé d'autres sujets de préoccupation potentiels dans l'économie numérique moderne, notamment l'IA, le métavers et la manipulation potentielle des consommateurs par le biais de pratiques "sombres". En ce qui concerne l'IA, Kanter a reconnu qu'il était important de laisser l'industrie respirer afin de préserver les types de points d'inflexion observés lors de l'ascension de l'Internet. Le procureur américain a toutefois ajouté que les autorités chargées de l'application de la loi devaient simultanément veiller à ce que les perturbations causées par la technologie d'IA débouchent sur des "marchés sains".
Quant au métavers, Kanter a souligné l'importance pour l'agence de rester à la pointe de la technologie. Pour ce faire, Kanter a indiqué que le DOJ recrutait encore plus de scientifiques et d'analystes de données afin de s'assurer que l'agence développe une expertise approfondie dans la compréhension du fonctionnement des données à l'ère moderne. Ainsi, le DOJ pourrait finir par ressembler à la faculté d'une école de commerce universitaire. « Nous devons comprendre comment ces données sont utilisées, affectent l'économie, affectent le potentiel de basculement, la construction de fossés et d'autres dynamiques concurrentielles », a-t-il déclaré.
En ce qui concerne les schémas sombres, Kanter a déclaré qu'il était important d'examiner la manière dont "l'accumulation de données" par les entreprises peut inciter les utilisateurs à se détourner de certains marchés. Il s'agit d'une forme de pratiques anticoncurrentielles basées sur la technologie qui n'est pas bien comprise dans le contexte de l'application de la législation antitrust de la fin du XXe siècle. En outre, ce n'est pas la première fois que Kanter fait allusion à la Standard Oil pour qualifier le pouvoir des Big Tech. Il l'a déjà fait la semaine dernière lors d'une conférence antitrust à Bruxelles, lorsqu'il parlait des grandes sociétés Internet.
Kanter a déclaré que ces puissantes plateformes disposaient d'un "large éventail de leviers et de cadrans" pour modifier les marchés et nuire à la concurrence. Il faut noter que lorsque le DOJ trouve des preuves de pratiques anticoncurrentielles, il appartient aux autorités de contrôle d'envisager des "remèdes structurels", comme ce fut le cas pour la Standard Oil. En d'autres termes, le démantèlement est tout à fait envisageable. Les propos du procureur américain suggèrent que le ministère de la Justice n'a pas l'intention de relâcher la pression de sitôt et que des mesures énergiques telles que le démantèlement d'entreprises sont à l'ordre du jour.
« La logique qui sous-tend cette position s'applique aux marchés des plateformes tout autant, sinon plus, qu'à d'autres secteurs. L'allègement structurel peut briser les structures incitatives qui, autrement, pourraient encourager les plateformes à s'orienter vers des systèmes fermés qui excluent la concurrence », a déclaré Kanter.
Sources : discours de Jonathan Kanter lors de la conférence Keystone sur l'antitrust à Bruxelles, en Belgique, discours de Jonathan Kanter à l'édition 2023 de la conférence State Of the Net
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