Bruce Schneier est membre du "Berkman Klein Center for Internet & Society" de l'université de Harvard et chef de l'architecture de sécurité chez Inrupt, une entreprise fondée par l'inventeur du Web Tim Berners-Lee pour créer un nouveau Web à l'épreuve des centralités. Schneier fait partie du groupe de 26 technologues qui ont envoyé au début du mois une lettre aux législateurs de Washington pour tenter de les mettre en garde contre les dangers de l'industrie de la cryptomonnaie. Les signataires de la lettre ont appelé les législateurs américains à bloquer les efforts visant à créer un "refuge réglementaire" pour les cryptomonnaies.
Voici un extrait de la lettre : « depuis sa création, cette technologie a été une solution à la recherche d'un problème et s'est maintenant accrochée à des concepts tels que l'inclusion financière et la transparence des données pour justifier son existence, en dépit de solutions bien meilleures à ces questions déjà utilisées. Malgré plus de treize ans de développement, elle présente de graves limitations et des défauts de conception qui excluent presque toutes les applications qui traitent des données publiques des clients et des transactions financières réglementées et ne constituent pas une amélioration des solutions non blockchain ».
Ils souhaitent que les législateurs de Washington se concentrent plutôt sur ce qu'ils appellent une "politique responsable en matière de technologies financières". La lettre qualifie la cryptomonnaie de "risquée, imparfaite et non prouvée". Schneier a publié récemment un billet de blogue dans lequel il apporte plus d'explications sur certains des arguments que ses confrères et lui ont utilisés dans leur lettre. « À certains égards très importants, les systèmes blockchains ne sont pas sécurisés. Ils ne remplacent pas la confiance par le code. À bien des égards, ils sont beaucoup moins fiables que les systèmes non blockchain », a-t-il déclaré.
« Les systèmes blockchains ne sont pas décentralisés, et leur inévitable centralisation est néfaste, car elle est largement émergente et mal définie. Ils ont toujours des intermédiaires de confiance, souvent avec plus de pouvoir et moins de surveillance que les systèmes non blockchain. Ils nécessitent toujours une gouvernance et ils nécessitent toujours une réglementation. Le problème avec la blockchain est qu'elle n'améliore aucun système et qu'elle aggrave souvent les choses », a-t-il ajouté. Il a également affirmé que, en raison de sa conception même, la blockchain est mal adaptée à presque tous les problèmes actuels qu'il cherche à résoudre.
Mais si Schneier et ses collègues pensent que la blockchain est "totalement inutile", Matthew Green, cryptographe et professeur à l'université Johns Hopkins, pense que ce n'est pas le cas. Green refusé a de signer la pétition et a écrit : « la blockchain publique permet beaucoup de choses stupides. Les cryptomonnaies d'aujourd'hui peuvent être vénales, corrompues, surcotées. Mais la technologie de base n'est absolument pas inutile. En fait, je pense qu'il y a des choses assez excitantes qui se passent dans ce domaine, même si la plupart d'entre elles sont plus éloignées de la réalité que ne veulent l'admettre leurs promoteurs ».
Green a ajouté : « franchement, toute cette lettre me déprime. Je tenais pour acquis que mes collègues techniciens seraient un peu plus raisonnables, en particulier lorsqu'ils s'adressent au Congrès et aux régulateurs en tant qu'experts techniques. Il ne s'agit pas simplement de quelqu'un qui "se trompe sur Internet". Il s'agit de revendications importantes qui méritent une attention sérieuse, et il y a des conséquences réelles à se tromper ici ». Ces contre-arguments se résument comme suit :
- Green est d'accord que les blockchains actuelles basées sur la preuve de travail comme le bitcoin sont nuisibles à l'environnement. Mais il estime qu'il existe d'autres modes, comme la preuve d'enjeu, qui ne le sont pas ;
- il est d'accord qu'une blockchain est un grand livre immuable qui rend impossible l'annulation de certaines transactions. Mais il ajoute que cela ne signifie pas qu'il ne peut pas y avoir un système de gouvernance au-dessus de la blockchain qui permet les inversions ;
- il partage l'argument selon lequel le bitcoin n'est pas évolutif et les frais sont trop élevés. Mais il affirme qu'il n'y a rien d'inhérent à la technologie blockchain. « C'est juste un ensemble de mauvais choix de conception que bitcoin a fait », a-t-il déclaré ;
- enfin, Green estime que les systèmes blockchains peuvent avoir un peu ou beaucoup de confidentialité, selon la façon dont ils sont conçus et mis en œuvre.
À propos du bitcoin, la DARPA a publié récemment un rapport selon lequel il existe des faiblesses dans le réseau bitcoin lui-même. Le rapport révèle que 21 % des nœuds utilisent une ancienne version vulnérable du client bitcoin principal. Ces systèmes pourraient être la cible d'un cybercriminel qui chercherait à prendre le contrôle de la majorité d'un réseau blockchain. Selon les chercheurs, cela signifie que tous ces ordinateurs sont ouverts au même type de piratage - un premier pas important pour un attaquant qui tente de dominer un réseau blockchain, parfois appelé "attaque des 51 %".
Green estime que le véritable problème des cryptomonnaies aujourd'hui est l'algorithme de la preuve de travail qui consomme beaucoup d'énergie pour valider les transactions. Selon lui, la solution ne consiste pas à interdire les cryptomonnaies, mais à trouver le bon chemin pour baisser cette consommation. Green affirme que l'interdiction des cryptomonnaies pourrait conduire à d'autres problèmes. « La question que nous devrions nous poser n'est pas de savoir s'il faut être en colère contre la consommation d'énergie du minage basé sur la preuve de travail. Nous devrions essayer de trouver le bon chemin pour sortir de cette pagaille », a-t-il déclaré.
« Et plus concrètement, s'il y a une voie à suivre qui est plus susceptible de produire un bon résultat que ce qui se passe déjà dans l'industrie - à savoir que les projets déploient rapidement des technologies plus propres pour remplacer la preuve de travail. Parce qu'il est très peu probable que l'ombre ou les interdictions hypothétiques de cryptomonnaies règlent le problème plus rapidement, et en fait : la réaction excessive des gouvernements pourrait aggraver la situation en éloignant les ressources des chaînes plus propres qui sont en train de se mettre en place pour résoudre le problème », a-t-il ajouté.
En réponse à Green, Schneier a déclaré : « s'il vous plaît, montrez-moi une application où la blockchain est essentielle. C'est-à-dire un problème qui n'aurait pas pu être résolu sans la blockchain et qui peut maintenant être résolu avec elle. (Et "les ransomwares ne pourraient pas exister parce que les criminels ne peuvent pas utiliser les réseaux financiers conventionnels et que les paiements en espèces ne sont pas réalisables" ne compte pas) ». Selon Schneier, la blockchain ne fait rien pour résoudre un quelconque problème existant avec les systèmes financiers (ou autres), ce qui expliquerait une fois de plus son inutilité.
« Ces problèmes sont intrinsèquement économiques et politiques, et n'ont rien à voir avec la technologie. Et plus important encore, la technologie ne peut pas résoudre les problèmes économiques et politiques. Ce qui est une bonne chose, car l'ajout de la blockchain entraîne toute une série de nouveaux problèmes et rend tous ces systèmes beaucoup, beaucoup plus mauvais », a-t-il déclaré. Green a déclaré qu'il était contre les arguments selon lesquels les cryptomonnaies constituent un danger et que la blockchain est inutile, mais il partage l'avis de ses confrères selon lequel ce secteur a besoin d'être réglementé.
« Je n'ai aucun problème avec l'idée que les législateurs adoptent (intelligemment) des lois pour réglementer les cryptomonnaies. En effet, étant donné le niveau de folie et le nombre d'escroqueries pures et simples qui se produisent dans ce domaine, il est assez évident que notre cadre réglementaire actuel n'est pas à la hauteur de la tâche », a déclaré Green. Cependant, Schneier le prend au mot et se demande : « quand on enlève la folie et les escroqueries, que reste-t-il ? »
Sources : Bruce Schneier, Matthieu Green
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