Alors que les luttes syndicales et les efforts pour l'amélioration des conditions de travail des cols bleus se multiplient dans le monde, les entreprises, principalement les détaillants et les usines d'assemblage et de fabrication, semblent avoir trouvé une parade : faire appel aux robots, car à moins de tomber en panne, ces derniers ne peuvent pas être malades ou victimes d'accident de travail. Ainsi, en Corée du Sud, l'impulsion la plus récente pour cette tendance est la responsabilité légale en cas de décès ou de blessure d'un travailleur. Des analystes estiment que des millions de travailleurs sud-coréens pourraient perdre leurs emplois si cela se poursuit.
Les analystes et les médias locaux rapportent que la loi a ébranlé les secteurs de l'industrie lourde et de la construction. Ils soulignent qu'en plus de pousser les entreprises à investir pour rendre les lieux de travail plus sûrs, elle a déclenché une accélération de l'automatisation afin de réduire le nombre de travailleurs, voire, dans l'idéal, supprimer totalement la main-d'œuvre humaine. « Les entreprises s'orientent vers une réduction du travail humain », explique Jung Jin-woo, professeur à l'Université nationale des sciences et technologies de Séoul, qui étudie la sécurité au travail et a suivi la réaction des entreprises à la loi depuis son entrée en vigueur.
La Corée du Sud possède déjà la "densité de robots" la plus élevée au monde - une mesure du nombre de robots industriels pour 10 000 employés.
En effet, le "business as usual" est appelé à changer radicalement en Corée du Sud avec l'entrée en vigueur d'une législation (Serious Disasters Punishment Act) qui peut rendre les dirigeants d'entreprise, y compris les PDG, légalement responsables des accidents du travail. La législation prévoit des peines d'un an de prison ou d'un milliard de wons (835 000 dollars) d'amende pour les propriétaires et les dirigeants d'entreprises en cas d'accidents ayant entraîné la mort ou des blessures graves. Les défenseurs des droits des travailleurs affirment que la loi constitue un transfert de responsabilité attendu depuis longtemps vers les chefs d'entreprise.
Selon les groupes de défense des droits des travailleurs, pendant des décennies, les dirigeants ont exploité des lieux de travail, tels que des usines et des chantiers de construction, dans des conditions de travail dangereuses, en privilégiant leurs résultats financiers par rapport à leurs travailleurs. En revanche, les chefs d'entreprise insistent sur le fait que la loi aura un effet dissuasif sur l'économie sud-coréenne, déjà chancelante (même si le pays est arrivé cette année en tête du classement mondial de l'innovation), en rendant les entreprises réticentes à lancer de nouveaux projets et en introduisant des montagnes de nouvelles formalités administratives.
« Il y a aussi une hésitation à se lancer dans des projets à haut risque », explique le professeur Jin-woo. Selon des rapports sur le sujet, la loi fait que les entreprises, de manière préventive, se précipitent pour mettre en œuvre des solutions de sécurité utilisant l'intelligence artificielle, les TIC et les robots. Le PDG de l'unité coréenne d'Universal Robots, fabricant de bras robotisés basé au Danemark, a déclaré dans une interview cette année que l'entrée en vigueur de la loi sur les sanctions en cas d'accidents graves avait provoqué une hausse de la demande pour les robots de l'entreprise utilisés dans la fabrication et la construction.
De même, l'entreprise sud-coréenne A-Robotics se serait également employée à promouvoir la sécurité de ses chariots élévateurs sans conducteur. Huawei Korea et Sejong Telecom ont tous deux annoncé leur intention de produire des systèmes intelligents de surveillance des usines ou des chantiers basés sur la 5G, destinés à aider les entreprises à prévenir les accidents. L'on estime que le recours aux robots est également dû au caractère ambigu de la loi. Les critiques ont fait valoir que la loi est formulée de manière trop vague et que les entreprises ne peuvent pas savoir exactement ce qui constitue une culpabilité afin de pouvoir l'éviter.
« L'importance de la loi est qu'elle stipule la responsabilité de la direction dans la prévention des accidents graves et son objectif est d'attirer l'attention des dirigeants sur la sécurité. Mais le plus gros problème de cette loi est l'ambiguïté de ses dispositions. Comme elle impose des sanctions sévères, ses dispositions doivent être très claires, mais elles ne le sont pas », a déclaré Kwon Hyuk, professeur de droit à l'Université nationale de Pusan. Les critiques portent également sur les PME qui n'ont pas la capacité de mettre en place des systèmes pour assurer le strict respect de la loi, ou de couvrir les frais juridiques qui pourraient être engagés.
Selon les analystes, les petites entreprises représentent la majorité des emplois en Corée du Sud. « Ce qui m'inquiète, c'est que la pointe du couteau est désormais dirigée vers les petites et moyennes entreprises, et que la loi pourrait être appliquée de manière arbitraire. Le gouvernement a créé une atmosphère de peur et les cabinets d'avocats ont pris les devants », a déclaré le professeur Jin-woo. Dans une enquête réalisée en novembre par la Chambre de commerce européenne en Corée, plus de la moitié des 121 entreprises qui ont répondu ont déclaré que la loi rendrait le pays moins attrayant pour les investissements.
Les fabricants phares de la Corée du Sud, les constructeurs de navires et d'automobiles, se dirigent depuis longtemps vers des niveaux d'automatisation élevés afin de maintenir des coûts bas et de concurrencer les rivaux mondiaux. Aujourd'hui, les rapports indiquent que des fabricants de second rang font de même. Kim Sung-hee, professeur à l'école supérieure d'études du travail de l'université de Corée, craint que le recours à l'automatisation ne soit un moyen pour les entreprises d'éviter de devoir revoir leurs pratiques de sécurité.
« Si ces technologies sont introduites pour minimiser l'erreur humaine ou la négligence des travailleurs, cela pourrait réduire le danger et avoir un effet préventif. Mais il n'est pas souhaitable que la direction et les entreprises fuient leurs responsabilités et cela va à l'encontre de l'esprit de la loi », a déclaré Kim. Par ailleurs, les analystes indiquent également que la Corée du Sud a déjà vu cela par le passé : l'envie de chercher des solutions technologiques aux problèmes humains.
Pour faire face à la pénurie de main-d'œuvre et aux accidents dans les fermes, par exemple, le gouvernement a poussé les technologies d'agriculture intelligente et vise actuellement à construire 30 000 usines intelligentes cette année. Mais selon les experts, les solutions technologiques déplacent la responsabilité du problème initial des entreprises vers les systèmes qu'elles utilisent.
Sources : Serious Disasters Punishment Act, Huawei Korea, Sejong Telecom, la Chambre de Commerce et d'Industrie Franco-Coréenne (CCIFC)
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