Lors d'une interview accordée en avril 2022 à l'administrateur de la conférence TED (Technology Entertainment Design) Chris Anderson, le milliardaire est resté fidèle au discours qu'il tient depuis 2016 sur la colonisation de Mars. En gros, pour Elon Musk, coloniser Mars signifie construire une fusée géante capable de transporter des dizaines de personnes, voire une centaine, pendant les 9 mois que va durer le voyage et installer des tentes dans les grottes pour servir d'habitations. Cependant, Musk a tendance à minimiser d'autres questions plus importantes que le moyen de transport, en particulier le déroulement du voyage et la vie post-atterrissage sur Mars.
Starship est l'énorme fusée en acier inoxydable que SpaceX a construite et testée dans son centre de développement de Boca Chica, au Texas. L'objectif de SpaceX est de lancer des cargaisons et des personnes lors de missions vers la Lune et Mars. Les prototypes actuels de Starship mesurent environ 45 mètres de haut, soit la taille d'un immeuble de 15 étages, et chacun est propulsé par trois moteurs de fusée Raptor. Starship aurait été financé en interne jusqu'à présent. La vision de Musk reste alignée sur une série de tweets datant de 2020, dans lesquels il énonçait un plan visant à construire 100 Starship chaque année sur une période de 10 ans.
En effet, il faudra probablement beaucoup de temps et d'efforts à SpaceX pour développer, tester et certifier Starship, puis construire ces fusées géantes en quantités requises par Musk. Il est important de noter que le Starship est censé être réutilisable, ce qui oblige SpaceX à développer une tour "Mechazilla" sans précédent qui, d'une manière ou d'une autre, attrapera la fusée pendant la descente verticale et l'atterrissage. Rien de tel n'a jamais été fait, et son développement pourrait prendre un certain temps. SpaceX doit également composer avec les organismes de réglementation : la Federal Aviation Administration et l'U.S. Army Corps of Engineers.
Toutefois, les scientifiques semblent être d'accord sur le fait que la faisabilité technologique n'est pas un problème, mais plutôt les délais incroyablement déraisonnables dans lesquels Musk pense que cela va se produire. Si les lancements commencent en 2028 - et en supposant que SpaceX profite du moment où la distance Terre-Mars est la plus petite - Musk estime que la ville martienne de ses rêves, avec ses millions d'habitants, pourrait voir le jour en 22 ans seulement. Mais comme il l'a souligné, la vie sur Mars ne sera pas luxueuse au début. « Elle sera plutôt dangereuse, exiguë, difficile, laborieuse et vous risquez de ne pas en revenir », a-t-il dit.
Si SpaceX est capable de transporter autant de personnes sur Mars en si peu de temps, il y aura toujours un nombre considérable de défis à relever. Tout d'abord, il y a le facteur humain à prendre en compte. Tout simplement, la peau humaine n'est pas faite pour l'espace ou les mondes extraterrestres hostiles. La planète rouge, avec son atmosphère extrêmement mince, ses températures froides et sa magnétosphère inexistante, n'offre pas d'oxygène à respirer, pas d'eau à la surface et aucune protection contre les rayonnements ionisants mortels. Il faudra se préparer à survivre dans ces conditions et l'entraînement pour durer longtemps.
« Réaliser le rêve d'Elon Musk d'établir une colonie autonome sur Mars comporte des risques qui vont bien au-delà de ceux liés à l'envoi d'un petit groupe d'humains en mission aller-retour sur cette planète. Les risques d'une mission martienne relativement modeste, qui pourrait comprendre des transits de six mois vers et depuis la destination et des séjours de 18 mois à la surface, sont déjà redoutables », explique Thomas Lang, professeur au département de radiologie et d'imagerie biomédicale de l'UCSF à San Francisco. Selon le professeur Lang, ces défis comprennent le maintien de la physiologie humaine au niveau fonctionnel.
Mais il parle également de la protection des colons contre les radiations et la gestion des effets de l'isolement extrême. Les agences spatiales du monde entier étudieraient actuellement ces risques, et Lang pense que l'on finira par trouver des moyens de les surmonter. « Mais même si ces risques peuvent être résolus, établir une colonie d'un million de personnes sur Mars représente toujours un saut dans l'inconnu, à la fois en matière d'ingénierie et d'évolution sociale », a déclaré Lang. Selon lui, ces défis seraient minimes comparés à celui de trouver la façon de "vivre de la terre", en extrayant de Mars les ressources nécessaires pour soutenir cette population.
Et si des solutions devaient émerger pour la production sur place de ressources au cours des premières missions martiennes, "il n'est pas certain qu'elles puissent être transposées à grande échelle pour soutenir une population importante". Jill Sohm, directrice du programme d'études environnementales de l'université de Californie du Sud, envisage le problème en matière de besoins humains fondamentaux. « L'être humain peut passer quelques minutes sans respirer, quelques jours sans boire et quelques semaines sans manger, de sorte que l'oxygène, l'eau et la nourriture sont des nécessités de base », explique-t-elle.
« Sans ces éléments, nous ne pourrions pas survivre, et encore moins prospérer », ajoute-t-elle. Selon les experts, modifier l'atmosphère de Mars de telle sorte que l'air soit respirable en quelques décennies n'est clairement pas possible. « Cela signifie que les colons devront vivre dans des environnements clos et disposer de "systèmes de recyclage efficaces pour éliminer le dioxyde de carbone et générer de l'oxygène" afin que l'air reste respirable », a expliqué Sohm. Fournir de l'eau à un million de personnes représente un autre défi très difficile à relever. Selon Sohm, l'eau peut être fabriquée avec de l'hydrogène, de l'oxygène et beaucoup d'énergies.
Mais ces éléments ne sont pas facilement disponibles sur Mars. Elle pense qu'il ne serait pas non plus possible de faire fondre les glaces (si elles existent) des pôles de Mars pour satisfaire les besoins en eau de la colonie. Ensuite, il y a la question de savoir comment les nourrir. Sohm estime que les colons auraient besoin d'environ 1 500 kilomètres carrés de terres agricoles pour nourrir une colonie de cette taille. « Cela peut sembler peu, mais c'est à peu près la taille de la ville de Los Angeles, où je vis. Je tiens à souligner que tout cela n'assurerait que le strict minimum de survie pour quiconque vivrait dans une colonie martienne », a-t-elle déclaré.
« Nous devrions donc nous demander ce que nous considérons comme une bonne vie sur Mars, qui vaudrait la peine que quelqu'un prenne le risque », a-t-elle ajouté. Serkan Saydam, professeur d'ingénierie minière à l'Université de New South Wales en Australie, affirme que l'on possède déjà la technologie nécessaire pour envoyer des personnes sur Mars, mais il manque la technologie pour établir une colonie martienne. Selon l'ingénieur, il est très peu probable que l'on arrive à mettre en place d'ici 2050 les conditions nécessaires pour soutenir une ville martienne habitée par un million de personnes.
Il estime que les défis suivants restent à relever : l'acquisition d'une connaissance géologique et géotechnique approfondie de Mars, l'établissement d'une alimentation électrique fiable, la création de marchés pour soutenir la chaîne d'approvisionnement, la réduction des risques pour les entreprises et les autres parties prenantes, l'élaboration de normes juridiques et de lignes directrices éthiques pour la colonisation de nouvelles terres, et la préservation de l'espace pour des activités pacifiques, etc. Selon les experts, la colonisation de Mars sera une "entreprise fondamentalement difficile, et le désir de la réaliser rapidement la rend encore plus dangereuse".
Sohm s'interroge sur l'intérêt de tout cela. « Pourquoi tenter de construire une colonie d'un million de personnes sur Mars ? Nous avons une crise planétaire ici sur Terre, dit-elle, et je pense que nous avons l'obligation morale de consacrer notre temps, nos efforts et notre argent à aider à la résoudre pour les plus de 7 milliards de personnes qui vivent ici actuellement, plutôt que de transporter une petite fraction de ce qui serait sûrement certaines des personnes les plus privilégiées de la Terre pour échapper à ses problèmes et tenter de se faire une nouvelle vie sur une autre planète », a-t-il déclaré.
Selon les critiques, il est important que l'on soit réaliste quant à l'avenir et au moment où nous pouvons raisonnablement espérer faire les choses que Musk promet. « Musk, intentionnellement ou non, colporte une vision erronée du potentiel de l'humanité à court terme. Cela a des conséquences sur le plan individuel, car de nombreux fans et adeptes de Musk le prennent au pied de la lettre. L'homme le plus riche du monde doit commencer à prendre cette responsabilité beaucoup plus au sérieux qu'il ne le fait », met en garde un critique.
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