Cambridge Analytica est de retour pour hanter Mark Zuckerberg : le procureur général de Washington DC a intenté une action en justice dans laquelle il accuse directement le PDG de Meta d'être personnellement impliqué dans les abus qui ont conduit au scandale de l'extraction de données.
Karl Racine, le procureur général de Washington DC, a déposé une plainte civile lundi matin, heure de Washington, affirmant que les enquêtes de son bureau ont trouvé de nombreuses preuves que Mark Zuckerberg pourrait être tenu responsable de ce scandale de 2018.
Cambridge Analytica et la manipulation de masse
Pour mémoire, en mars 2018, le quotidien américain New York Times et britannique The Guardian ont publié des informations relatives à une campagne de manipulation orchestrée par l’entreprise Cambridge Analytica, une société spécialisée dans l’analyse de données (data mining). La source, un lanceur d’alerte canadien répondant au nom de Christopher Wylie, a été employé au sein de cette entreprise qui était alors suspectée d’avoir exploité les données de millions d’utilisateurs de Facebook (dont 87 millions rien qu'aux USA) à leur insu.
Ces données auraient permis d’effectuer un profilage des électeurs potentiels dans le cadre de la campagne victorieuse de Donald Trump outre-Atlantique, mais aussi du « Oui » au Brexit.
Cambridge Analytica a payé pour obtenir des données Facebook collectées par un chercheur, le Dr Aleksandr Kogan, via une application qu’il a baptisée « thisisyourdigitallife ». Selon Facebook, le chercheur prétendait les recueillir à des fins académiques. Contre 4 $, les internautes étaient invités à se connecter avec leurs identifiants Facebook et à répondre à une série de questions. Ils étaient plus de 270 000 à se livrer à cet exercice qui a eu un impact sur plus de 87 millions d’utilisateurs Facebook aux USA. Autant de données que Cambridge Analytica a utilisées pour faire du profilage et tenter d’influencer le courant politique aux États-Unis.
Facebook offrait un certain nombre d'outils technologiques pour les développeurs de logiciels, et l'un des plus populaires est Facebook Login, qui permet aux gens de simplement se connecter à un site Web ou une application en utilisant leur compte Facebook au lieu d’enregistrer de nouvelles informations. Vous verrez probablement le même système avec d’autres services populaires comme celui de Google.
Les gens s’en servent probablement parce que c'est facile (en deux clics, ils peuvent créer leur compte) et élimine le besoin de se souvenir d'une nouvelle combinaison pseudo/MdP.
Seulement voilà : lorsque les utilisateurs se servaient de Facebook Login, ils accordaient au développeur de l'application une série d'informations provenant de leur profil Facebook, telles que leur nom, leur emplacement, leur adresse e-mail ou leur liste d'amis. C'est ce qui est arrivé en 2015, quand un professeur de l'Université de Cambridge nommé Dr Aleksandr Kogan a créé une application appelée « thisisyourdigitallife » qui utilisait cette fonctionnalité de connexion de Facebook. Quelque 270 000 personnes ont utilisé Facebook Login pour créer des comptes et ont ainsi choisi de partager leurs données personnelles avec Kogan.
En 2015, cependant, Facebook a également permis aux développeurs de recueillir des informations sur les réseaux d'amis de personnes qui ont utilisé Facebook Login. Cela signifie que même si un seul utilisateur avait accepté de remettre ses données, les développeurs pouvaient également accéder à certaines données sur leurs amis. Précisons que depuis, Facebook a mis à jour ses conditions de service pour que cela ne soit plus possible, du moins pas au même niveau de détail.
Grâce à ces 270 000 personnes qui ont opté, Kogan a pu accéder aux données de quelque 87 millions d'utilisateurs américains de Facebook, selon le Times. Cette collecte de données aurait pu inclure des informations sur l'emplacement et les centres d'intérêt des utilisateurs, ainsi que des informations plus détaillées, telles que des photos, des mises à jour d'état et des enregistrements.
Le Times a constaté que les données de Cambridge Analytica « contenaient suffisamment d'informations, y compris les lieux de résidence, que l'entreprise pourrait faire correspondre les utilisateurs à d'autres enregistrements et construire des profils psychographiques. »
Dans une série de réunions filmées en caméra cachée, qui ont été diffusées sur Channel 4 News, Alexander Nix, le patron de Cambridge Analytica a confirmé le rôle joué par la société dans l’élection de Donald Trump aux États-Unis.
Ces réunions ont été filmées dans des hôtels londoniens pendant quatre mois, entre novembre 2017 et janvier 2018, par un journaliste infiltré de Channel 4 News qui s'est fait passer pour un client aisé cherchant à faire élire des candidats au Sri Lanka. En dehors d’Alexander Nix, elles ont impliqué Mark Turnbull, Managing Director Political Global pour le compte de Cambridge Analytica, et le Dr Alex Tayler, data scientist en chef de l'entreprise.
Dans une troisième partie, les cadres supérieurs de Cambridge Analytica ont parlé de :
- l'ampleur de leur travail pivot dans la victoire électorale de Trump ;
- comment ils évitent les enquêtes du Congrès sur leurs clients étrangers ;
- la configuration d'organisations proxy pour diffuser des messages introuvables sur les médias sociaux ;
- l’utilisation d'un système de messagerie secret où les messages s'autodétruisent et ne laissent aucune trace ;
- la participation de Cambridge Analytica à la campagne d'attaques « Defeat Crooked Hilary ».
Alexander a expliqué à son client potentiel « qu’on a fait toutes les recherches, les données, les analyses, le ciblage… On a mené la campagne numérique, la campagne de télévision, et nos données ont alimenté toute la stratégie. »
Il a assuré également avoir rencontré Donald Trump, alors qu’il était encore en campagne, à plusieurs reprises. Il a aussi admis que sa société a mené, au profit du camp républicain, une campagne de dénigrement publicitaire contre Hillary Clinton.
De son côté, Turnbull a raconté comment l'entreprise pourrait créer des organisations par procuration pour diffuser discrètement des informations négatives sur les candidats de l'opposition sur Internet et les médias sociaux.
La société affirme que son travail avec les données et la recherche ont permis à Trump de gagner avec une marge étroite de « 40 000 voix » dans trois États assurant la victoire dans le système des collèges électoraux, malgré la perte du vote populaire de plus de 3 millions de voix.
Et d’expliquer que « Parfois, vous pouvez utiliser des organisations de proxy qui sont déjà là. Vous les nourrissez. Ce sont des organisations de la société civile. Des organisations caritatives ou des groupes d'activistes, et nous les utilisons – nous leur fournissons le matériel et ils font le travail. »
« Nous mettons des informations directement dans le flux sanguin de l'Internet et ensuite nous les regardons grandir, leur donnons un coup de pouce de temps en temps, et les regardons prendre forme. Ce genre de choses s'infiltre dans la communauté en ligne et se développe, mais sans branding – donc c'est indescriptible, non traçable. »
Cambridge Analytica a donc utilisé une stratégie à double voie pour faire campagne. C’est d’ailleurs ce qu’explique le Dr Tayler, data scientist en chef de Cambridge Analytica, lorsqu’il a déclaré : « Il faut parfois faire une séparation de la campagne politique elle-même. Donc, en Amérique, vous savez qu'il y a des groupes de dépenses indépendants qui se cachent derrière la campagne ».
Le procureur général de Washington DC
En 2018, Racine a poursuivi Facebook, affirmant que le réseau social était bien au courant des entourloupes de la société d'analyse, mais n'a rien fait de significatif jusqu'à ce que la collecte de données soit couverte par les médias grand public. Facebook a bloqué à plusieurs reprises les tentatives de production de documents, a affirmé Racine, et les documents qu'il a finalement remis ont tracé une piste qui, selon lui, menait directement à Zuckerberg.
Avance rapide jusqu'à cette semaine, et en annonçant qu'il poursuit Zuckerberg, Racine a déclaré lundi : « Ce procès est non seulement justifié, mais nécessaire, et envoie un message selon lequel les chefs d'entreprise, y compris les PDG, seront tenus responsables de leurs actes ».
Cependant, prouver cet argument peut être plus facile à dire qu'à faire : cette dernière plainte dépend de la capacité du procureur général à relier les actions personnelles de Zuckerberg aux actions de Cambridge Analytica.
Dans son procès de 2018, qui est toujours en cours, Racine a accusé Facebook d'à peu près les mêmes choses dont il accuse Zuckerberg maintenant, à savoir d'avoir enfreint la loi sur les procédures de protection des consommateurs (CPPA) de Washington DC. Vers la fin de l'année dernière, le procureur général a tenté d'ajouter Zuckerberg en tant que défendeur à cette affaire, et cela a été rejeté par un juge qui, en mars, a déclaré que le moment choisi « ressemblait presque à de la mauvaise foi ».
Racine, cependant, reste convaincu qu'il peut lier Zuck à l'extraction de données et a intenté une action spécifiquement contre le PDG et cofondateur de Facebook. « Les preuves montrent que monsieur Zuckerberg a été personnellement impliqué dans l'échec de Facebook à protéger la vie privée et les données de ses utilisateurs, ce qui a directement conduit à l'incident de Cambridge Analytica », a déclaré le procureur général.
La CPPA stipule que les individus peuvent être tenus responsables des actions d'une entreprise s'ils sont au courant, contrôlent ou n'ont pas réussi à arrêter une activité illégale. Le dernier procès en matière de CCPA contre Facebook remonte à 2007, l'année où Facebook a ouvert sa plateforme aux annonceurs. Dans la plainte, il était indiqué que Facebook savait comment son site Web pouvait être utilisé à mauvais escient et a pourtant ignoré les avertissements.
La plainte demande un procès devant jury contre Zuckerberg, avec un verdict de culpabilité lui interdisant de violer à nouveau le CPPA, ainsi que de payer une restitution de 5 000 $ pour la première violation et de 10 000 $ pour chaque accusation supplémentaire (à prouver au procès).
Facebook a perdu deux affaires judiciaires précédentes concernant son rôle dans l'explosion de Cambridge Analytica, le Royaume-Uni lui ayant infligé une amende de 630 000 $ et la Federal Trade Commission des États-Unis lui ayant imposé une amende de 5 milliards de dollars pour la même chose.
Source : Bureau du procureur général
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