La reconnaissance faciale fait son retour aux États-Unis, alors que les interdictions visant à contrecarrer cette technologie et à limiter les préjugés raciaux dans les services de police sont menacées par une recrudescence de la criminalité et un lobbying accru des développeurs. Les efforts visant à mettre en place des interdictions se heurtent à la résistance de juridictions de toutes tailles, de New York et du Colorado à West Lafayette, dans l'Indiana. Même le Vermont, le dernier État à interdire presque à 100 % l'utilisation de la reconnaissance faciale par la police, a modifié sa loi en 2021 pour permettre d'enquêter sur les crimes sexuels infantiles.
En juillet, la Virginie supprimera l'interdiction faite à la police locale d'utiliser la reconnaissance faciale, seulement un an après l'avoir approuvée. Les analystes pensent que la Californie et la ville de La Nouvelle-Orléans pourraient être les prochaines à appuyer sur le bouton "annuler" dès ce mois-ci. La cause de ce revirement de la part des autorités serait la hausse de la criminalité. Les rapports d'homicides à La Nouvelle-Orléans auraient augmenté de 67 % au cours des deux dernières années par rapport à la paire précédente, et la police dit avoir besoin de tous les outils possibles. D'autres villes afficheraient des chiffres plus élevés sur la même période.
Pour rappel, la Virginie a approuvé son interdiction par le biais d'un processus qui a limité la contribution des développeurs de reconnaissance faciale. « Cette année, les lobbyistes des entreprises sont parvenus à faire avancer une législation qui concilie mieux les libertés individuelles et les besoins des enquêtes policières », a déclaré le sénateur d'État Scott Surovell. À partir du 1er juillet, la police de Virginie sera autorisée à utiliser des logiciels de reconnaissance faciale qui selon des tests seraient en mesure d'atteindre une précision de 98 %, avec une variation minimale en fonction de la démographie.
« La technologie est nécessaire pour résoudre ces crimes et pour tenir les individus responsables », a déclaré le commissaire de police Shaun Ferguson. Ferguson a demandé au conseil municipal d'abroger une interdiction entrée en vigueur l'année dernière. De 2019 à 2021, environ deux douzaines d'États américains ou de gouvernements locaux ont adopté des lois restreignant l'utilisation de la reconnaissance faciale. Des études avaient constaté que la technologie était moins efficace pour identifier les personnes noires, et les manifestations anti-police Black Lives Matter ont donné de l'élan aux arguments.
Mais des recherches en cours, menées par le National Institute of Standards and Technology (NIST) du gouvernement fédéral, auraient montré des progrès significatifs en matière de précision. Et les tests du ministère américain de la Sécurité intérieure publiés le mois dernier ont révélé une faible variation de la précision en fonction de la couleur de la peau et du sexe. « Il existe un intérêt croissant pour les approches politiques qui répondent aux préoccupations concernant la technologie », a déclaré Jake Parker, directeur principal des relations gouvernementales au groupe de lobbying Security Industry Association.
Selon Parker, le plus important est de s'assurer qu'elle est utilisée d'une manière limitée, précise et non discriminatoire qui profite aux communautés. L'évolution du sentiment pourrait permettre à ses membres, dont Clearview AI, Idemia et Motorola Solutions, d'obtenir une part plus importante des 124 milliards de dollars que les États et les collectivités locales consacrent chaque année au maintien de l'ordre. La part consacrée à la technologie n'est pas suivie de près. Il est de plus en plus important pour Clearview d'obtenir de nouveaux contrats avec la police.
Cette semaine, la société a mis fin à un procès sur la protection de la vie privée concernant des images collectées sur les réseaux sociaux en acceptant de ne pas vendre son système phare au secteur privé américain. Clearview, qui aide la police à trouver des correspondances dans les données des médias sociaux, a déclaré qu'elle accueillait favorablement "toute réglementation qui aide la société à tirer le meilleur parti de la technologie de reconnaissance faciale tout en limitant les inconvénients potentiels". Idemia et Motorola, qui fournissent des correspondances à partir de bases de données gouvernementales, ont refusé de commenter.
Bien que les études récentes aient atténué les réserves des législateurs, le débat se poursuit. La General Services Administration, qui supervise les contractants fédéraux, a déclaré dans un rapport publié le mois dernier que les principaux outils de reconnaissance faciale n'avaient pas réussi à établir de correspondance avec les Afro-Américains de manière disproportionnée lors de ses tests. L'agence n'a toutefois pas donné plus de détails sur les tests. La reconnaissance faciale sera examinée par le nouveau comité consultatif national du président sur l'intelligence artificielle.
En Virginie, les détracteurs de la norme ont déclaré qu'elle partait d'une bonne intention, mais qu'elle était imparfaite et que des mandats devraient être exigés pour l'utilisation de la reconnaissance faciale. « S'attaquer à la discrimination policière en vérifiant deux fois l'algorithme, c'est un peu comme essayer de résoudre les brutalités policières en vérifiant que l'arme n'est pas raciste : à proprement parler, c'est mieux que l'alternative, mais le vrai problème, c'est la personne qui la tient », a déclaré Os Keyes, titulaire d'une bourse Ada Lovelace à l'université de Washington.
Après la défaite en Virginie, les groupes de défense des libertés civiles montent au créneau à La Nouvelle-Orléans. La semaine dernière, dix organisations nationales ont demandé aux membres du conseil municipal de renforcer, et non d'abroger, son interdiction, en invoquant le risque d'arrestations injustifiées fondées sur des identifications erronées. Le groupe local "Eye on Surveillance" a déclaré que La Nouvelle-Orléans "ne peut pas se permettre de faire marche arrière". Aux États-Unis comme en France, l'utilisation, ou non, de la reconnaissance faciale est l'un des sujets les plus débattus dernièrement.
Dans un rapport soumis mercredi à la commission des lois, des sénateurs français ont proposé d'expérimenter la reconnaissance faciale pour une durée de trois ans. Les auteurs du rapport - les sénateurs Marc-Philippe Daubresse, Arnaud de Belenet et Jérôme Durain - se disent contre une société de surveillance, mais proposent "d'expérimenter la reconnaissance faciale pendant 3 ans sur des cas restreints, contrôlés et encadrés". Les résultats des tests devraient permettre d'établir une base juridique pour l'utilisation de cette technologie. Le rapport contient 30 recommandations autour desquelles cette expérimentation doit tourner.
Toutefois, la recommandation n°3 propose d'interdire la surveillance biométrique à distance en temps réel lors de manifestations sur la voie publique et aux abords des lieux de culte, sauf dans certains cas d'espèce. Ils justifient "les exceptions très limitées" par le risque terroriste, les enquêtes sur des infractions graves qui menacent ou portent atteinte à l'intégrité physique des personnes et d'autres risques réels. Lors d'une conférence de presse mercredi, les trois rapporteurs ont insisté sur le fait qu'ils sont contre une société de surveillance et que leur travail a permis d'ériger des « lignes rouges » à l’utilisation de la reconnaissance biométrique.
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