La part de marché de Firefox est passée à environ 4,18 % en 2022
Fin 2008, l'année de publication de Chrome par Google, Firefox avait le vent en poupe. Vingt pour cent des 1,5 milliard de personnes en ligne utilisaient le navigateur de Mozilla pour naviguer sur le Web. En Indonésie, en Macédoine et en Slovénie, plus de la moitié des internautes utilisaient Firefox. « Notre part de marché dans ces régions a augmenté à une vitesse folle », a écrit Ken Kovash, président de Mozilla à l'époque, dans un billet de blogue. Près de 15 ans plus tard, les choses ne sont pas aussi roses. Aujourd'hui, selon les données issues du site StatCounter, sur l'ensemble des appareils, le navigateur ne possède plus que 4,18 % de parts de marché.
« Si l'on regarde cinq ans en arrière et que l'on examine notre part de marché et les chiffres que nous publions, on ne peut nier le déclin. Au cours des deux dernières années, ce que nous avons vu est en fait un aplatissement assez substantiel », déclare Selena Deckelmann, vice-présidente senior de Firefox. Les propres statistiques de Mozilla montrent une baisse d'environ 30 millions d'utilisateurs actifs mensuels entre le début de 2019 et le début de 2022. La perte de vitesse de la part de marché de Firefox s'est accompagnée de deux séries de licenciements chez Mozilla en 2020. Environ 250 collaborateurs auraient été licenciés à l'automne 2020.
En 2023, son accord de recherche lucratif avec Google - responsable de la grande majorité de ses revenus - devrait expirer. En outre, une série de navigateurs axés sur la protection de la vie privée lui font désormais concurrence, tandis que les ratés des nouvelles fonctionnalités menacent de lui aliéner sa base. Tout cela a laissé des analystes du secteur et d'anciens employés préoccupés par l'avenir de Firefox. Son sort a également des implications plus importantes pour le Web dans son ensemble. Pendant des années, il a été le meilleur candidat pour tenir en échec Chrome, grâce à ses fonctions de confidentialité et de protection de la vie privée.
Mais l'on estime que depuis sa sortie en 2008, Chrome est devenu synonyme de Web : il est utilisé par environ 63 % des personnes en ligne et a une influence considérable sur la façon dont les gens utilisent Internet. Lorsque Google a lancé sa norme de publication AMP (Accelerated Mobile Pages), les sites Web se sont empressés de l'appliquer. Des plans similaires visant à remplacer les cookies tiers dans Chrome - une mesure qui aura un impact sur des millions de spécialistes du marketing et d'éditeurs - sont façonnés à l'image de Google. Malgré les craintes des défenseurs de la vie privée, Google semble décidé à aller au bout de son idée.
« Chrome a gagné la guerre des navigateurs de bureau. Il n'est pas raisonnable pour Firefox d'espérer regagner ne serait-ce qu'une part de marché des navigateurs à ce stade », a déclaré un ancien membre de l'équipe de Firefox qui a requis l'anonymat. Un autre ancien employé de Mozilla, qui a aussi demandé à ne pas être nommé par crainte de répercussions sur sa carrière, déclare : « ils vont juste devoir accepter la réalité. Firefox ne va pas renaître de ses cendres ». Les deux anciens employés de l'entreprise ne croient pas du tout à une renaissance de Firefox.
Mozilla tire la majorité de ses revenus de son partenariat avec Google
L'accord Google-Mozilla a été renouvelé pour la dernière fois en 2020 et devrait expirer en 2023. Les statistiques montrent que la part de marché de Firefox a diminué d'environ 1 % pendant la durée de cet accord. Les propres chiffres de la société montrent que le nombre d'utilisateurs actifs mensuels est resté stable, à environ 215 millions. Mais rien ne garantit qu'il sera renouvelé au même niveau. Selon Deckelmann, Mozilla ne révèle pas les détails des accords conclus avec ses partenaires et a refusé de dire si des négociations avec Google étaient en cours. Elle s'attend à ce que les résultats financiers de 2021 montrent une croissance des revenus.
Cependant, Mozilla reconnaît qu'il y a un besoin urgent de diversifier les sources de revenus pour l'avenir à long terme de Firefox. Ces efforts se sont intensifiés depuis 2019. L'entreprise possède le service de lecture en différé Pocket, qui comprend un service d'abonnement premium payant. Elle a aussi lancé deux produits similaires de type VPN auxquels les gens peuvent s'abonner. Et l'entreprise pousse davantage dans la publicité également, en plaçant des annonces sur les nouveaux onglets qui sont ouverts dans le navigateur Firefox. Les revenus combinés des abonnements et des publicités de Mozilla étaient de 14 millions de dollars en 2019.
Ils sont passés à 24 millions de dollars en 2020, et l'entreprise dit s'attendre à ce que les résultats financiers de 2021 montrent que les nouveaux produits contribuent à 14 % de ses revenus. Selon Mozilla, cette indépendance vis-à-vis de Google est la clé de la création d'un modèle économique "plus sain". Cependant, certains de ces nouveaux paris n'ont pas fonctionné et peuvent sembler en contradiction avec les objectifs plus larges de Firefox en matière de confidentialité. Un service de partage de fichiers chiffrés a été fermé après avoir été utilisé pour diffuser des logiciels malveillants. Mozilla a inséré en outre des publicités dans la barre d'URL de Firefox.
Les efforts pour trouver de nouvelles sources de revenus interviennent à un moment où Firefox doit faire face à une concurrence plus forte que jamais. En effet, de nouveaux arrivants sur le marché des navigateurs utilisent la confidentialité dans leur image de marque. Plusieurs concurrents de Chrome cherchent à se différencier en ne collectant pas de données sur votre historique de navigation ou en ne suivant pas votre activité en ligne. Firefox, DuckDuckGo, Brave, Vivaldi et Safari rejoignent tous Tor - qui est largement considéré comme l'option la plus respectueuse de la vie privée - pour bloquer le suivi à des degrés divers.
Les références de Firefox en matière de protection de la vie privée sont à peu près aussi "solides" que celles de ses rivaux commerciaux. « La principale caractéristique de Firefox est son extensibilité. Il y a beaucoup de fonctions de protection de la vie privée qui ne sont pas activées par défaut, ce qui est regrettable, mais il vous donne au moins la possibilité de les activer si vous pensez en avoir besoin », explique Jonah Aragon, un administrateur système qui participe également à la gestion du site Web de recommandations Privacy Guides. Le site, qui se concentre sur les logiciels libres, classe les navigateurs Firefox parmi les meilleurs.
Mozilla doit réinventer Firefox s'il espère se démarquer à nouveau
Outre le navigateur principal Firefox pour Android et iOS, Mozilla propose aussi navigateur Focus, qui renforce les protections de la vie privée par défaut. (Deckelmann dit que les deux navigateurs Firefox ont des cas d'utilisation distincts, et elle ne voit pas les applications fusionner en un seul produit.) Aragon ajoute que si Firefox est en concurrence avec d'autres navigateurs axés sur la protection de la vie privée, il n'a pas nécessairement été le premier à introduire ces fonctionnalités. Par exemple, Safari d'Apple a été le premier navigateur à bloquer par défaut les cookies de suivi tiers.
Cela fait écho aux préoccupations concernant la manière dont Firefox se différenciera à l'avenir. D'anciens employés de Firefox affirment que Mozilla devrait s'en tenir à une stratégie distincte pour son navigateur vedette. « Il s'agit essentiellement d'un navigateur plus optimisé pour la protection de la vie privée, mais en même temps, ils essaient d'en tirer plus d'utilité et d'en tirer des revenus en allant dans des directions différentes », a déclaré un ancien employé, citant les annonces de la barre de recherche comme un exemple parfait de priorités conflictuelles.
« Une fois perdus, les utilisateurs reviennent difficilement jusqu'à ce qu'il y ait une raison impérieuse. Et quelle serait cette raison impérieuse ? Je pense que Firefox doit vraiment relever le défi de trouver une position unique - non seulement dans les déclarations marketing, mais aussi dans son produit absolu - et d'aller dans une seule direction », déclare Bart Willemsen, analyste vice-président chargé de la protection de la vie privée chez Gartner. Willemsen dit qu'il est un utilisateur de Firefox depuis ses premiers jours. Pour Deckelmann, cependant, il est essentiel de rendre Firefox plus personnalisé.
Elle a expliqué que cela implique d'essayer d'augmenter les fonctionnalités du navigateur pour qu'il s'adapte au fait que les gens sont plus souvent en ligne. Par exemple, en 2021, Firefox a réorganisé sa page d'accueil pour permettre aux utilisateurs de reprendre des recherches précédemment abandonnées et des articles inachevés. Il a remanié son application Android et ajouté des fonctionnalités de son gestionnaire de mots de passe à l'application Firefox. Il a aussi mis l'accent sur les partenariats, notamment en collaborant récemment avec Meta, la société mère de Facebook, afin de promouvoir "une publicité plus respectueuse de la vie privée". L'initiative a été beaucoup critiquée.
Selon Deckelmann, il est probable que Firefox continue à chercher des moyens de personnaliser la navigation en ligne des internautes. « Je ne suis pas sûre que ce qui en ressortira sera ce que les gens attendent traditionnellement d'un navigateur, mais l'intention sera toujours de mettre les gens au premier plan », dit-elle. Firefox a annoncé la semaine dernière un partenariat avec Disney qui implique le changement de couleur du navigateur et des publicités pour gagner des abonnements à Disney+. Cela témoigne à la fois de la volonté de personnalisation de Firefox et des chemins étranges que peut emprunter sa recherche de sources de revenus.
Mais Deckelmann ajoute que Firefox n'a pas besoin d'être aussi important que Chrome ou Safari pour réussir. « Tout ce que nous voulons vraiment, c'est être un choix viable parce que nous pensons que cela rend un meilleur Internet pour tout le monde d'avoir ces différentes options », dit Deckelmann. Malgré certains de ses échecs, Firefox reste important. Mozilla pousse les entreprises à être plus privées, et son produit phare est différent dans son essence. Le marché des navigateurs est dominé par la base de code Chromium de Google et son moteur de navigation sous-jacent, Blink, le composant qui transforme le code en pages Web visuelles.
Microsoft Edge, Brave, Vivaldi et Opera utilisent tous des versions adaptées de Chromium, le projet open source sous-jacent de Chrome. Apple quant à lui oblige les développeurs à utiliser son moteur de navigation WebKit sur iOS. À part cela, le moteur de navigateur Gecko de Firefox est la seule alternative existante. « Ce marché a besoin de variété. Nous avons besoin de cette différence pour les normes Internet ouvertes, pour éviter les monopoles », a déclaré Willemsen.
Au cours des premières années qui ont suivi le lancement de Firefox, il a joué un rôle clé dans le façonnement de la vie privée et de la sécurité sur le Web, Mozilla faisant pression pour une plus grande ouverture en ligne et de meilleures normes. Si la part de marché de Firefox diminue encore, il y aura moins de concurrence pour Chrome. Beaucoup de personnes interrogées - à l'intérieur et à l'extérieur de Mozilla - sur le sujet disent que l'épanouissement de Firefox rend le Web meilleur. Le problème est de savoir comment y parvenir.
Sources : Mozilla (1, 2, 3, 4), Résultats financiers de Mozilla (PDF), StatCounter, Privacy Guides
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