Le dernier effort en date des législateurs européens pour affirmer la résilience et le leadership technologique de l'UE aux yeux du monde est l'"EU Chips Act". Le projet de loi vise à accroitre la production de puces de l'UE d'ici 2030, en produisant jusqu'à 20 % des semiconducteurs nécessaires pour les besoins des entreprises locales. Il est vital que l'UE réduise sa dépendance à l'égard des importations en provenance d'Asie et d'ailleurs, et atténue les risques géopolitiques. Les futures industries européennes devraient pouvoir bénéficier de capacités de fabrication de puces basées en Europe et à la pointe de la technologie.
Un sommet sur "le sujet brûlant de la souveraineté numérique" a eu lieu la semaine dernière. Accueilli par la France, actuelle présidente du Conseil des ministres européens, le sujet revêt une importance particulière pour les eurocrates inquiets pour la vie privée de leurs citoyens. Selon l'ordre du jour de la conférence, "sécurité, innovation, réglementation et valeurs, et ouverture" sont les quatre piliers sur lesquels repose la souveraineté numérique européenne. L'on pourrait supposer que les "valeurs" signifient qu'il faut éviter de se plier à l'interprétation des autorités américaines en faveur de la position de l'Europe sur la question.
Cependant, il semble que les actes ne suivent pas les promesses, et les acteurs locaux du cloud semblent totalement frustrés par cet état de choses. L'on accuse en effet la France de ne pas donner le bon exemple. Alors que l'Hexagone possède OVHcloud, considéré comme le leader européen du cloud computing, il a demandé néanmoins en 2021 l'appui de Google et de Microsoft dans le cadre de sa stratégie dite de "cloud de confiance". Ce n'est pas tout à fait l'alternative locale rêvée par eurocrates, car cela démontre que malgré l'enjeu, la France n'est pas opposée à un certain flirt avec les grandes entreprises américaines de l'informatique dématérialisée.
Avant cela, le président Emmanuel Macron avait déclaré lors d'un événement au palais de l'Élysée en juin 2021 qu'il souhaitait favoriser l'émergence de 10 géants technologiques européens évalués à au moins 100 milliards d'euros d'ici 2030. La déclaration de Macron avait été applaudie par certains et décriée par d'autres qui le considèrent comme étant modeste. « En France, nous avons un bilan qui nous permet de dire que c'est crédible », a ajouté Macron. Au total, la France compte 15 licornes en 2021 – c'est-à-dire des startups valorisées à plus d'un milliard de dollars – contre seulement trois en 2017.
Toutefois, les acteurs locaux du cloud, tels que le français Scaleway (anciennement Online SAS), ont été quelque peu mécontents au fil du temps. En octobre, Yann Lechelle, PDG de Scaleway, s'est plaint de "messages contradictoires". Scaleway a ensuite quitté le projet de souveraineté des données de l'UE, Gaia-X, en novembre. Lechelle s'est inquiété du fait que le projet ne faisait que "renforcer le statu quo" et a noté que certaines nations préféraient continuer à travailler avec les entreprises technologiques américaines. Scaleway est également membre de l'EUCLIDIA, qui regroupe des entreprises européennes à participation majoritaire.
Dans une déclaration en date du 3 février, les membres de l'alliance ont déclaré qu'ils étaient d'avis qu'il n'était pas nécessaire de reconstruire la souveraineté numérique à partir de zéro, que l'Europe "possède un solide héritage technologique". Ils citent les technologies du cloud (conteneurs, services cloud, etc.) qui auraient été inventées dans la région. Ils ajoutent qu'"il y a un écosystème dynamique de PME qui se battent, avec intelligence et détermination, depuis deux décennies pour rester compétitives sur des marchés majoritairement dominés par une poignée d'acteurs américains, dans le cadre d'une concurrence contestée et contestable".
L'autre chose décriée par les membres de l'EUCLIDIA est la volonté de l'UE d'assouplir ses propres règles en matière d'aides d'État. Ces règles ont en effet été conçues pour empêcher les subventions déloyales des pays de l'UE de nuire à la concurrence. Cependant, alors qu'elle fait face à des difficultés pour financer le projet de loi "EU Chips Act", elle envisage d'assouplir les aides d'État afin de faciliter la création de nouvelles installations de fabrication de puces. Les analystes pensent que l'UE ne devrait pas faire recours à une telle mesure, mais qu'il est possible d'aller dans le sens du soutien de certains secteurs stratégiques.
C'est ce que semble demander le groupe EUCLIDIA. Selon lui, un projet de loi "Buy European Tech Act" l'aiderait à bénéficier du même "soutien public américain généreux - et enviable - et du même financement du ministère américain de la Défense" que celui dont bénéficient les acteurs américains dans le secteur public américain. Le groupe a appelé les décideurs à prêter attention aux entreprises locales. «Sans ce soutien proactif pour conquérir de nouveaux marchés, et sans une démonstration claire de la confiance, il sera impossible pour l'industrie européenne du cloud de lutter à armes égales avec ses concurrents », a-t-il déclaré.
« L'Europe numérique sera impuissante, dépendante et témoin de la désindustrialisation », prévient-il. Plus tôt cette semaine, le Conseil européen de la protection des données a pris sa première mesure d'application coordonnée avec une enquête sur l'utilisation des services basés sur le cloud par le secteur public. À propos de cette action spécifique, le PDG de Scaleway, Lechelle, a déclaré à l'époque : « le cloud computing moderne perturbe l'ancien modèle en termes de distribution et d'accélération [et] prive les clients de la propriété et de la souveraineté dont ils bénéficiaient dans l'ancien modèle de licence ».
EUCLIDIA compte également des personnalités telles que Frank Karlitschek, PDG de Nextcloud. La plateforme de productivité autohébergée est connue pour avoir déposé une plainte antitrust auprès de l'UE contre Microsoft concernant l'offre groupée de OneDrive avec Windows. Enfin, les réglementations européennes sont également pointées du doigt comme un obstacle à l'atteinte des objectifs de souveraineté numérique. Selon un certain Bert Hubert, entrepreneur et développeur de logiciels, les réglementations en Europe pèseraient sur les entreprises IT du continent et ne lui permettent pas d'atteindre la souveraineté numérique.
Source : Lettre ouverte de l'Alliance EUCLIDIA
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