Le 9 novembre 2017 est la date officielle du lancement du chantier de Scribe, avec un livrable attendu pour tous les services de police deux ans plus tard (fin 2019, début 2020). Scribe avait vocation à révolutionner le traitement informatique des procédures judiciaires au sein de la police et remplacer le logiciel de rédaction des plaintes (LRP), décrit comme étant obsolète et peu intuitif. Le marché a été remporté par Capgemini.
Tout semblait pourtant bien lancé. Il y a trois ans, un enquêteur avait fait une belle démonstration depuis son clavier, et raconté tout le bien qu'il pensait du projet Scribe, avec ses équipes mixtes d'agents très expérimentés associés en direct aux grandes réflexions stratégiques avec Capgemini (l'opérateur informatique)
Les policiers allaient pouvoir avoir de vraies arborescences, de vrais liens sur les écrans avec d'autres fichiers et logiciels internes. À l'époque, tout se passait bien sur un autre grand projet numérique au sein de la police : le projet Néo (système logiciel pour les outils informatiques embarqués des agents sur le terrain, smartphone et tablettes). « On ne pensait vraiment pas que tout allait planter ainsi sur Scribe », conclut un proche du dossier.
Mais il n'en sera rien.
À l’heure où Scribe aurait dû être mis en fonction, les retards s’accumulaient déjà. La situation était telle que le chef de projet a décidé de jeter l’éponge et de quitter la société prestataire, s’en allant avec la moitié de son équipe.
La situation a été exacerbée après un audit de Capgemini qui a réalisé qu’une énorme faille se trouve au cœur même de l’architecture du projet et que celui-ci ne sera jamais opérationnel.
Si l'addition se chiffre à près de 12 millions d'euros (11,7 millions d'euros, salaires des policiers détachés compris), les hauts responsables de la police nationale ont réalisé que le dossier est bien bétonné juridiquement et qu'il n'y aurait aucun recours juridique possible contre Capgemini.
Selon les informations de France Inter et après plusieurs réunions ces derniers jours, y compris en présence du ministre de l'Intérieur qui a repris le dossier en main depuis son arrivée en juillet 2020, un nouvel appel d'offres sera passé dans les mois qui viennent avec une autre société prestataire pour un nouveau logiciel, à l'horizon 2024.
« Ce n’est pas le plus gros fiasco côté financier de ses dernières années » confie un responsable syndical policier. Mais « c’est pour nous "LE" projet le plus symbolique, car il touche au principal outil des enquêteurs : le logiciel de rédaction des plaintes. »
Il faut dire que lorsque les projets logiciels ne sont pas aboutis, l'ardoise est lourde et d'autant plus gênante quand il s'agit d'argent public.
Parmi les ratés, nous pouvons citer les 346 millions d'euros déboursés par la France pour un système visant à automatiser la gestion de sa masse salariale. Baptisé « Opérateur national de paye » (ONP), il devait se substituer aux outils propres à chaque ministère et ainsi permettre d'établir automatiquement la paye de 2,7 millions d'agents d'État. Avec un coût prévisionnel élevé, les gains devaient l'être tout autant. L'objectif initial était de réaliser 190 millions d'euros d'économies par an une fois le logiciel mis en place : l'opération devait conduire à des économies des effectifs (en harmonisant les systèmes de paye de chaque ministère et en les réunissant dans le même programme informatique, la majorité de l'époque pensait réduire les effectifs en passant de 12.000 à 8200 agents affectés à la paye). Il était aussi question d'un meilleur contrôle du processus ainsi que d'un renforcement du suivi des effectifs et de la masse salariale. Le tout à horizon 2011.
Mais les retards se sont accumulés et les problèmes techniques se sont multipliés. Et, en janvier 2014, un rapport sur l'ONP finit par préconiser d'abandonner le projet et de le réorienter.
« On ne pouvait pas prendre de risque sur le paiement des agents publics, assurait alors le ministère de l'Économie et des Finances. En cas de dysfonctionnement, comment gérer les retards, les trop-perçus ou les remboursements ? »
« On avait calculé qu'il aurait fallu encore 60 millions d'euros par an sur les dix prochaines années pour que le logiciel soit vraiment opérationnel. On économise donc 600 millions d'euros ».
Nous pouvons aussi évoquer le projet de système d'information et de gestion des ressources humaines du ministère de l'Éducation nationale, SIRHEN. Né en 2006, ce programme avait pour vocation la modernisation et le remplacement des SIRH historiques du dit ministère. Mais il n’a cessé d’accumuler les retards et les dérapages financiers. Après plusieurs tentatives de sauvetage, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, a décidé en juillet 2018 d’arrêter ce grand projet informatique de l’État. « Il apparaît clairement que le programme SIRHEN n'est pas parfaitement adapté aux enjeux de gestion des ressources humaines et technologiques d'aujourd'hui. Par conséquent, j'ai décidé de réorienter notre action vers un dispositif plus agile et plus efficace au bénéfice de notre mission de service public », expliquait alors le ministre.
La Cour des comptes a souligné divers problèmes quant à l'après-SIRHEN : une gouvernance introuvable, un recours trop important et non maîtrisé à l’externalisation, un faible outillage pour assurer le pilotage du projet, et un dérapage des dépenses. Sur ce dernier point, il est souligné qu’au jour de l’arrêt de SIRHEN, le projet avait coûté 378 millions d'euros (charges de personnel comprises). En septembre 2019, « en raison des dépenses de maintenance de l’outil SIRHEN gérant toujours les 18 000 agents transférés, les dépenses totales du programme dépassent les 400 millions d’euros », explique la Cour.
Il y a également Louvois (Logiciel Unique à Vocation Interarmées de la Solde), dont les dysfonctionnements coûtent très cher à son ministère. Jean-Yves Le Drian, qui était alors ministre de la Défense, a annoncé la fin du logiciel en 2013.
« Nous sommes face à des indus constatés, qui s'élevaient au 31 juillet 2018 à 573 millions d'euros, accumulés depuis le début de la crise Louvois », affirmait le secrétaire général pour l'administration du ministère des Armées Jean-Paul Bodin, lors d'une audition à l'Assemblée nationale en 2018. Sur cette somme, 405 millions d'euros, soit plus de deux tiers, ont été recouvrés, selon lui, indiquant malgré tout que 95 millions d'euros ont été abandonnés.
Son successeur, Source Solde, va gérer dorénavant l’attribution de la paye de l’armée de l’Air et du service de santé des armées.
Annoncé en 2015, le projet Source Solde a été confié à la société Sopra Steria. Celle-ci indiquait avoir mis en œuvre une version adaptée de sa solution RH de Sopra HR Software, configurée et testée sous la houlette de la DRH-MD, la direction des ressources humaines du ministère de la Défense, de la DGA (Direction Générale de l’armement) et de l’état-major des armées. Le montant du marché s’élève à 128 millions d’euros. L’attribution de ce marché public avait mis en concurrence plusieurs acteurs, dont Accenture et Atos.
Henri Verdier, lorsqu'il était encore Directeur interministériel du numérique et du système d'information de l'État français, avait tenu à préciser que « ce n'est pas que l'État, ça arrive aussi dans le privé ». En 2017, Mounir Mahjoubi, qui avait alors la casquette de secrétaire d'État au Numérique, a déclaré : « Le patrimoine logiciel de l'État, ce sont 12 500 logiciels : il y a énormément de choses qui marchent »
Sources : France Inter, défense
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La police abandonne Scribe, un projet logiciel qui a coûté près de 12 millions d'euros aux contribuables.
Après quatre ans de chantier, il n'a jamais été mis en service
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Le , par Stéphane le calme
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