Les appareils sont jetés à la poubelle alors qu'ils sont encore utiles
« Nous avons besoin de mises à jour logicielles pour toujours. Les fabricants devraient maintenir leurs logiciels et micrologiciels indéfiniment », plaide Marc Pesce dans son billet de blogue. Cela est-il réellement envisageable pour les entreprises ? Pour expliquer son point de vue, Pesce prend l'exemple de sa PSP (PlayStation Portable) vieille de 15 ans. D'après lui, l'on pourrait penser qu'une console de jeu vieille de 15 ans ne serait même pas opérationnelle, mais la qualité de fabrication de Sony est telle que, à l'exception d'une batterie lithium-ion très fatiguée, l'appareil est en parfait état et fonctionne normalement.
Il y a un hic cependant, il ne peut pas se connecter au Wi-Fi moderne sans une mise à jour, à laquelle il ne peut pas accéder sans une mise à jour de son micrologiciel (un piège classique). Pesce déclare avoir passé quelques heures à essayer de comprendre comment obtenir un nouveau micrologiciel sur l'appareil, sans succès. Ainsi, une pièce d'équipement électronique en parfait état est devenue totalement inutile, simplement par manque de mises à jour logicielles. Selon lui, les consommateurs ont compté sur les bonnes grâces des fabricants d'appareils pour que le micrologiciel et le logiciel des gadgets soient sécurisés et mis à jour.
Cela dit, cela coûte aux fabricants une partie de leurs bénéfices. Par conséquent, nombre d'entre eux sont susceptibles d'abandonner le support des vieux gadgets plus vite que ceux-ci ne s'usent. « Cette avarice des entreprises envoie beaucoup trop de nos appareils à la poubelle avant qu'ils n'aient épuisé leur utilité. C'est mauvais, tant pour les consommateurs que pour la planète. Il faut que cela cesse », a-t-il déclaré. Bon nombre d'appareils aujourd'hui, bien qu'ils aient tous démarré avec succès, aucun d'entre eux ne fonctionne plus vraiment. La raison étant l'arrêt, le manque ou l'inexistence de mises à jour pour le micrologiciel.
Par exemple, en 2014, Nokia a vendu sa division de fabrication de smartphones à Microsoft dans le cadre d'une vente de feu, puis Microsoft a mis fin à l'opération. Ces mouvements font des appareils Nokia sortis avant cette vente des produits orphelins d'une division défunte d'une entreprise massive. Sans nouveau micrologiciel, ils sont essentiellement inutiles. Beaucoup de ces appareils ont également besoin d'un rafraîchissement logiciel. Pourtant, aucun d'entre eux ne peut se connecter ou même localiser les serveurs de mise à jour appropriés. Ce phénomène est aussi illustré par le récent système d'exploitation Windows 11 de Microsoft.
Lorsque Microsoft a annoncé Windows 11 le 24 juin dernier, l'entreprise a listé un certain nombre d'exigences qui ont rendu obsolètes des millions d'ordinateurs dans le monde. Pour être en mesure d'exécuter Windows 11, il faut que le micrologiciel de votre ordinateur soit compatible avec UEFI, Secure Boot, Trusted Platform Module version 2.0 (TPM 2.0), et que les cartes graphiques soient compatibles avec DirectX 12 ou une version ultérieure avec le pilote WDDM 2.0. Pour expliquer son choix, Microsoft joue la carte de la sécurité, des fonctionnalités plus utiles et des machines mieux adaptées aux nouveaux enjeux de l'industrie.
En fait, les puces TPM fonctionnent en offrant une protection au niveau du matériel au lieu du logiciel uniquement. Elles peuvent être utilisées pour chiffrer des disques à l'aide de fonctionnalités Windows telles que BitLocker, ou pour empêcher les attaques par dictionnaire de mots de passe. Pour Windows 11, le géant de Redmond a indiqué qu'il faut impérativement disposer d'un TPM 2.0 pour pouvoir installer le système d'exploitation, des exigences qui enferment des millions de PC sous Windows 10. Pour permettre aux consommateurs d'échapper à ce piège, certains fabricants d'ordinateurs ont proposé des mises à jour du BIOS.
ASUS est l'un des premiers fabricants de cartes mères à prendre des mesures pour s'assurer que ses clients pourront profiter de Windows 11. La société a publié des mises à jour du BIOS pour un certain nombre de ses cartes qui activent automatiquement la prise en charge TPM 2.0. Les exigences matérielles pour Windows 11 se sont révélées déroutantes et controversées dans une mesure à peu près égale, mais c'est le besoin de TPM 2.0 qui a pris de nombreuses personnes au dépourvu. Néanmoins, d'autres OEM devraient emboîter le pas à ASUS avant la sortie officielle de Windows 11 prévue en octobre.
Même pour les personnes disposant de PC dotés de TPM 2.0 et prenant donc en charge Windows 11, le processus d'activation de la fonctionnalité est potentiellement difficile. Les mises à jour du BIOS pour les cartes mères devraient permettre à certains fabricants d'éliminer cette étape ; il ne sera donc plus nécessaire de l'activer manuellement.
Comment les entreprises justifient-elles la mise au rebut des appareils
Une expression qui est devenue très populaire au cours de la dernière décennie est : la fin de vie ou EOL (end of life). Au cours de ces dernières années, de nombreux fabricants de matériels et développeurs de logiciels/micrologiciels ont déclaré que certaines de leurs plateformes étaient arrivées en fin de vie, laissant de ce fait les utilisateurs sans support. À titre d'exemple, Windows 7 est officiellement arrivé en fin de vie le 14 janvier 2020. Pendant la période de préparation, les utilisateurs qui n'avaient pas mis à niveau ou changé de système d'exploitation ou de matériel ont été sévèrement avertis de l'imminence de l'apocalypse.
« Le déclin fait partie du cycle de vie d'un produit. L'EOL est l'étape finale inévitable après le développement, la croissance et la maturité. Cela ne signifie pas que votre logiciel va simplement cesser de fonctionner. Cela signifie une vulnérabilité accrue aux menaces de sécurité, entre autres. Pour certains d'entre nous, la mise à niveau n'est pas aussi simple que de cliquer sur un bouton. Il est compréhensible que vous préfériez vous battre avec votre logiciel existant », expliquent les entreprises. Selon elles, les risques liés à l'utilisation de logiciels obsolètes sont : menaces pour la sécurité, incompatibilité, réglementation, coût et dégradation.
Cependant, Pesce et autres estiment que ces mises à jour cachent le plus souvent des fonctions qui rendent obsolètes les anciens appareils. C'est, par exemple le cas d'Apple qui a été accusé à plusieurs reprises au cours de la dernière décennie de se livrer à l'obsolescence programmée des anciens iPhone pour obliger les utilisateurs à acheter le nouveau modèle. En 2007, le géant de Cupertino a plaidé coupable d'avoir déployé une mise à jour pour réduire la vitesse et les performances des anciens iPhone, ce qui lui a valu de nombreuses actions en justice et plusieurs millions d'euros d'amendes en France et en Italie.
Cette mise à jour a également eu un impact sur la batterie des iPhone. Par ailleurs, le monde a connu dernièrement une émergence des mouvements en faveur du droit des consommateurs à la réparation. Ces mouvements ont commencé à influencer les politiques publiques sur des sujets tels que la disponibilité des pièces de rechange. Apple est l'un des fabricants qui font de leur mieux pour empêcher les utilisateurs d'obtenir des pièces de rechange et de faire appel à des réparateurs en cas de problème avec leur iPhone ou un autre produit Apple. Les clients d'Apple sont comme "séquestrés" et doivent payer plus à Apple pour les réparations.
Même si l'entreprise dispose d'un programme pour les réparateurs indépendants, à travers lequel il leur fournit des pièces de rechange d'origine, plusieurs rapports ont prouvé qu'elle fait également tout son possible pour les empêcher d'exercer convenablement. Récemment, des fuites de vidéos de formation d'Apple ont révélé comment l'entreprise s'investit pour saper la crédibilité des réparateurs tiers et convaincre les clients de dépenser plus. Selon Pesce, imposer le droit à la réparation aux géants comme Apple pourrait rendre les choses plus faciles pour les consommateurs à l'avenir et leur éviter de dépenser toujours plus.
En outre, il estime qu'il devrait y avoir un mouvement parallèle de droit à la maintenance. « Nous devrions obliger les fabricants d'appareils à réserver une partie du prix d'achat d'un gadget pour financer la maintenance continue des logiciels, les obligeant ainsi à prévoir un budget pour un avenir qu'ils préfèrent ignorer. Ou peut-être qu'ils n'ignorent pas tant l'avenir qu'ils essaient de le gérer en accélérant l'obsolescence des produits, car cela suscite généralement un nouvel achat », a-t-il déclaré. Cela signifie-t-il que Sony et d'autres devraient continuer à prendre en charge des produits vieux de près de vingt ans, comme la PSP ?
« Si cela leur permet d'éviter de se retrouver à la décharge, je dirai oui : les avantages l'emportent largement sur les coûts. Les détails diaboliques se situent dans la décision de savoir qui doit supporter ces coûts. Mais même s'ils étaient entièrement à la charge de l'acheteur, les consommateurs seraient, je pense, prêts à payer quelques dollars de plus pour un gadget si cela signifiait un accès fiable aux logiciels pour celui-ci, et ce, indéfiniment. Oui, nous voulons tous de nouveaux jouets brillants - et nous en aurons beaucoup - mais nous ne devrions pas construire cet avenir sur les restes prématurément jetés de notre passé électronique », a-t-il conclu.
Source : Marc Pesce
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