Apple et Google ont donné un coup de pouce au parti au pouvoir du président russe Vladimir Poutine en supprimant une application de vote stratégique développée par des militants qui soutiennent le chef de l'opposition emprisonné Alexei Navalny. L'application, appelée « Navalny », a été lancée sur les vitrines de téléchargements avant les élections législatives du week-end dernier, Apple et Google ayant cédé aux pressions du gouvernement russe.
Il faut dire que le Kremlin a accusé les entreprises technologiques américaines de s'ingérer dans ses affaires intérieures. Les journées de vendredi, samedi et dimanche ont en effet vu l’élection d’un nouveau parlement (la Duma, chambre basse). Le parti au pouvoir, Russie unie de Vladimir Poutine, y est arrivé largement en tête avec 46,1 % (en baisse par rapport à 2016, 54,2 %).
« Supprimer l'application Navalny des vitrines de téléchargement est un acte honteux de censure politique. Le gouvernement autoritaire et la propagande de la Russie seront ravis », a déclaré sur Twitter Ivan Zhdanov, directeur de la Fondation anticorruption fondée par Navalny et homme politique de l'opposition en Russie. Alors que les candidats associés à Navalny sont interdits d'élection, l'application Navalny a été conçue pour aider les électeurs à se regrouper autour des candidats de l'opposition qui sont sur le bulletin de vote.
L'application de vote tactique (désormais supprimée) permettait aux électeurs qui ne voulaient pas que le parti politique au pouvoir du président Vladimir Poutine, Russie unie, remporte les élections de s'organiser autour d'un seul candidat de l'opposition dans chacune des 225 circonscriptions électorales dans le but d'augmenter le nombre de politiciens non approuvés par le Kremlin au pouvoir. Depuis la mi-août, le gouvernement russe a menacé Apple et Google d'amendes s'ils ne supprimaient pas l'application de vote tactique de Navalny de l'App Store et du Google Play Store.
Dans les avis envoyés aux entreprises technologiques, l'organisme de censure a déclaré que toute implication dans les activités d'une organisation extrémiste est considérée comme un crime.
La Russie a intensifié sa pression sur les entreprises à l'approche des élections. « Google a supprimé l'application vendredi matin après que les autorités russes ont lancé une menace directe de poursuites pénales contre le personnel de l'entreprise dans le pays, nommant des personnes spécifiques, selon une personne familière avec la décision de l'entreprise », a écrit le New York Times. « Cette décision intervient un jour après qu'un législateur russe a évoqué la possibilité de représailles contre les employés des deux sociétés technologiques, affirmant qu'ils seraient punis ».
Dans une mesure apparemment liée, « Apple a également désactivé sa fonction de relais privé en Russie », a rapporté le Washington Post. « La fonctionnalité dissimule l'adresse IP et les données de navigation de l'utilisateur, offrant une protection contre la surveillance gouvernementale en ligne ». La fonctionnalité était disponible en version bêta.
L'équipe de Navalny envisage apparemment une action en justice contre Apple et Google.
Apple et son système d'analyse des photos
La capitulation d'Apple devant le gouvernement russe est probablement préoccupante pour tous ceux qui s'opposent au projet de l'entreprise d'analyser les photos des utilisateurs à la recherche de matériel pédopornographique (CSAM) avant de les télécharger sur iCloud. Apple a affirmé qu'il refuserait les demandes du gouvernement d'étendre les analyses de photos au-delà de CSAM. Mais la suppression par Apple de l'application électorale, considérée parallèlement aux concessions précédentes que la société a faites à la Russie et à la Chine, rappelle qu'Apple doit se conformer aux lois des pays dans lesquels elle opère, sous peine de perdre l'accès à ces marchés.
Pour mémoire, début août, Apple a annoncé l'arrivée de nouvelles fonctions d'identification des photos sur iOS qui utiliseront des algorithmes de hachage pour faire correspondre le contenu des photos de la galerie des utilisateurs avec des éléments connus d'abus d'enfants, tels que la pornographie enfantine. L'iPhone téléchargera un ensemble d'empreintes numériques représentant le contenu illégal, puis comparera chaque photo de la galerie de l'utilisateur à cette liste.
Apple a précisé que la technologie de balayage fait partie d'une nouvelle série de systèmes de protection des enfants qui « évolueront et se développeront au fil du temps ». Les fonctionnalités seront déployées dans le cadre d'iOS 15, dont la sortie est prévue le mois prochain. « Cette nouvelle technologie innovante permet à Apple de fournir des informations précieuses et exploitables au National Center for Missing and Exploited Children et aux forces de l'ordre concernant la prolifération de CSAM [child sexual abuse material] connus », a déclaré la société.
Le système, appelé neuralMatch, alertera de manière proactive une équipe d'examinateurs humains s'il pense que des images illégales sont détectées. Selon un article de Financial Times, qui a rapporté la nouvelle pour la première fois, les examinateurs humains contacteront ensuite les forces de l'ordre si le matériel peut être vérifié. Le système neuralMatch, qui a été formé à l'aide de 200 000 images du National Center for Missing & Exploited Children, sera d'abord déployé aux États-Unis, puis au reste du monde. Les photos seront hachées et comparées à une base de données d'images connues d'abus sexuels sur des enfants.
Selon les explications de Cupertino, chaque photo téléchargée sur iCloud aux États-Unis recevra un « bon de sécurité » indiquant si elle est suspecte ou non. Ainsi, une fois qu'un certain nombre de photos seront marquées comme suspectes, Apple permettra de déchiffrer toutes les photos suspectes et, si elles apparaissent comme illégales, de les transmettre aux autorités compétentes. « Apple ne prend connaissance des photos des utilisateurs que si ceux-ci possèdent une collection de CSAM connus dans leur compte iCloud Photos », a déclaré l'entreprise pour tenter de rassurer les utilisateurs quant à la confidentialité de leurs données.
Une initiative qui a créé la division, même au sein des employés Apple. Matthew Green, professeur à l'université John Hopkins et cryptographe, a indiqué sur Twitter : « Ce genre d'outil peut être une aubaine pour trouver de la pédopornographie dans les téléphones des gens... Mais imaginez ce qu'il pourrait faire entre les mains d'un gouvernement autoritaire ».
En outre, selon les chercheurs, bien que le système soit actuellement formé pour repérer les abus sexuels sur les enfants, il pourrait être amélioré pour détecter toute autre image, par exemple, les décapitations de terroristes ou les signes antigouvernementaux lors de manifestations. Mais les dangers ne se limitent pas là et pourraient atteindre d'autres plateformes.
Le précédent créé par Apple pourrait également accroître la pression exercée sur les autres entreprises technologiques pour qu'elles utilisent des techniques similaires. « Les gouvernements l'exigeront de tous », s'est inquiété Green. Alec Muffett, chercheur en sécurité et militant pour la protection de la vie privée qui a travaillé chez Facebook et Deliveroo, a déclaré que la décision d'Apple était "tectonique" et constituait un "pas énorme et régressif pour la vie privée". « Apple fait reculer la vie privée pour permettre 1984 [NDLR, le plus célèbre roman dystopique de George Orwell, publié en 1949] », a-t-il déclaré.
Source : Ivan (1, 2)
Et vous ?
Les pressions exercées par la Russie pour faire éjecter l'application de l'opposition vous surprennent-elles ?
Quelle lecture faites-vous de la décision d'Apple et Google ?
Une situation qui vient illustrer les craintes concernant les fonctionnalités CSAM qu'Apple veut déployer sur ses appareils ?
Voir aussi :
Le Parlement allemand demande à Tim Cook de reconsidérer ses projets de CSAM, estimant que le système de balayage d'Apple sape la communication confidentielle
Après les critiques, Apple ne recherchera que les images d'abus signalées dans plusieurs pays et insiste qu'il s'agit d'une avancée en matière de confidentialité
« Le plan de surveillance des appareils d'Apple est une menace pour la vie privée des utilisateurs - et la liberté de la presse », prévient la Freedom of the Press Association
Google et Apple suppriment l'app "Navalny" de l'opposition russe avant les élections suite à des pressions du Kremlin
Elle visait à s'organiser autour d'un seul candidat de l'opposition
Google et Apple suppriment l'app "Navalny" de l'opposition russe avant les élections suite à des pressions du Kremlin
Elle visait à s'organiser autour d'un seul candidat de l'opposition
Le , par Stéphane le calme
Une erreur dans cette actualité ? Signalez-nous-la !