
Bukele et les siens soutiennent que le bitcoin est un facilitateur
Le Salvador est devenu ce mardi 7 septembre le premier pays ayant fait du bitcoin une monnaie légale. Le projet de loi du président Nayib Bukele visant à faire du bitcoin une monnaie légale au Salvador a été approuvé le 9 juin par le Congrès du pays. Le propos de loi a été adopté par le Congrès par 62 voix sur 84. « La présente loi a pour objet la régularisation du bitcoin comme monnaie à cours légal, sans restriction avec pouvoir libératoire, illimité dans toute transaction », peut-on lire dans le premier article du texte qui attendait son entrée en vigueur, prévue pour ce 7 septembre. C'est désormais chose faite.
À minuit moins trois, heure locale, Bukele a tweeté que le pays était sur le point d'"entrer dans l'histoire" avec cette décision, après avoir confirmé précédemment qu'il avait acheté 400 bitcoins, soit l'équivalent d'environ 20,9 millions de dollars au cours actuel. Ce changement signifie que les entreprises devraient accepter les paiements en bitcoins aux côtés du dollar américain, qui est la monnaie officielle du Salvador depuis 2001 et qui restera la monnaie légale. Bukele affirme que cela aidera le pays à économiser environ 400 millions de dollars que le gouvernement estime dépenser chaque année en commissions pour les transferts de fonds.
Les partisans de cette mesure estiment qu'elle permettra aux migrants d'envoyer plus facilement et à moindre coût de l'argent au Salvador, ce qui est important étant donné que ces transferts de fonds représentent plus de 24 % du produit intérieur brut du pays, selon les chiffres de la Banque mondiale. L'on espère également que cette initiative pourrait améliorer l'accès des citoyens aux services financiers. Le PDG de Strike, une société de financement numérique qui a contribué à la logistique de la nouvelle loi, a déclaré à CNN que plus de 70 % de la "population active" du pays n'ont actuellement pas un compte bancaire.
Ainsi, le gouvernement espère doper sa situation financière et favoriser la mise en place d'une économie inclusive. À 40 ans, Nayib Bukele est populaire auprès de la population, mais a été accusé d'éroder la démocratie, notamment par l'administration du président américain Joe Biden. Aux premières heures ce mardi, le portefeuille numérique salvadorien, appelé Chivo, n'était pas apparu sur les plateformes de téléchargement d'applications d'Apple, de Google et de Huawei, ce qui a provoqué une série de tweets de Bukele, dont un avec une émoticône "en colère" au visage rouge. « Publiez-le ! @Apple @Google et @Huawei », a écrit Bukele sur Twitter.
Le portefeuille a ensuite été disponible auprès de Huawei. Certains citoyens étaient optimistes. « Cela va être bénéfique. Nous avons de la famille aux États-Unis et ils peuvent envoyer de l'argent sans frais, alors que les banques facturent », a déclaré Reina Isabel Aguilar, propriétaire d'un magasin à El Zonte Beach, à environ 49 km au sud-ouest de la capitale San Salvador. Connue sous le nom de Bitcoin Beach, la ville d'El Zonte a pour objectif de devenir l'une des premières économies de bitcoins au monde. Toutefois, l'adoption de cette technologie pourrait être ralentie par la faible pénétration d'Internet dans le pays.
Dans la perspective du lancement, le gouvernement a installé des distributeurs automatiques de billets qui permettront de convertir les bitcoins en dollars et de les retirer sans aucune commission du portefeuille numérique. L'on ignore encore si les entreprises seront sanctionnées si elles n'adoptent pas la nouvelle monnaie. À ce propos, le Financial Times a interrogé plus de 20 entreprises dans la capitale du pays et n'en a trouvé que trois qui ont déclaré avoir des plans immédiats pour accepter la monnaie. D'autres n'avaient pas encore commencé leurs préparatifs ou étaient activement réfractaires aux transactions en bitcoins.
En outre, lundi, Bukele a demandé de la patience. « Comme toutes les innovations, le processus bitcoin du Salvador a une courbe d'apprentissage », a-t-il déclaré sur Twitter. « Tout ne sera pas réalisé en un jour ni en un mois », a-t-il ajouté. La loi prévoit que les citoyens pourront payer leurs impôts en bitcoins et les magasins pourront afficher les prix en monnaie numérique. De plus, l'argent échangé dans cette cryptomonnaie ne sera pas non plus soumis à l'impôt sur les plus-values. Il faut noter que cette mesure fait du Salvador le premier pays à avoir officiellement des bitcoins dans son bilan et à les détenir dans le cadre de ses réserves.
La légalisation du bitcoin par le Salvador comporte plusieurs risques
En août, une note de recherche de Bank of America s'enthousiasmait de la capacité de la nouvelle loi à réduire le coût des transactions transfrontalières (les envois de fonds représentent 20 % du PIB du Salvador), à accroître la pénétration du numérique dans un pays où 70 % de la population n'utilise toujours pas de banques et à attirer les investissements étrangers en tant que pionnier de l'adoption des cryptomonnaies. Depuis lors, cependant, le verdict des chercheurs en économie, des organisations financières internationales, mais aussi des Salvadoriens eux-mêmes, est devenu résolument pessimiste.
« La loi a été adoptée extrêmement rapidement, sans étude technique ni débat public », a déclaré Ricardo Castañeda, un économiste local. « Je ne pense pas que le président ait pleinement compris les implications de la loi, son potentiel à causer de graves problèmes macroéconomiques et à convertir le pays en un paradis pour le blanchiment d'argent », a-t-il ajouté. En outre, selon les médias locaux, des banquiers de la capitale disent avoir reçu des appels de clients inquiets menaçant de retirer leurs dépôts plutôt que de risquer une exposition aux marchés volatils des cryptomonnaies.
Selon un sondage de l'Université centraméricaine (UCA), une université jésuite basée au Salvador, réalisé jeudi, la plupart des Salvadoriens ne sont pas d'accord avec la décision du gouvernement d'adopter le bitcoin comme monnaie légale. Selon l'enquête, beaucoup ne savent pas comment utiliser la monnaie numérique et se méfient du projet. Au moins 67,9 % des 1 281 personnes interrogées dans le cadre du sondage ont déclaré qu'elles n'étaient pas d'accord ou pas du tout d'accord avec l'utilisation du bitcoin comme monnaie légale. Un peu plus de 32 % des personnes ont déclaré être optimiste ou d'accord à un certain niveau.
La plupart des personnes, 7 sur 10, pensent que les législateurs devraient abroger la loi qui donne cours légal au bitcoin. « Ce que nous pouvons voir dans ce sondage, en plus de ce large rejet de la mise en œuvre du bitcoin comme monnaie légale, c'est que pour la première fois nous avons trouvé un désaccord significatif entre la population et les décisions prises par l'Assemblée législative et le président », a déclaré le doyen de l'UCA, Andreu Oliva. Bukele et son gouvernement ont présenté cette mesure comme un moyen de stimuler l'emploi et le développement économique en rendant le Salvador moins dépendant du dollar américain.
Le sondage a également montré que la plupart des Salvadoriens pensent que les principaux bénéficiaires seront les riches, les investisseurs étrangers, le gouvernement et les chefs d'entreprise. « Il y a beaucoup d'inquiétudes sur les effets négatifs possibles de l'utilisation du bitcoin », a déclaré Oliva. Un article publié récemment par l'université Johns Hopkins indique que le coût des transferts de fonds via bitcoin sera plus élevé que celui des méthodes traditionnelles, et une enquête réalisée en juillet a révélé que près des deux tiers des Salvadoriens ne seraient pas disposés à accepter un paiement en bitcoin.
Les économistes s'inquiètent également du fait que cette mesure expose une population peu éduquée en matière financière - pour la plupart, sans filet de sécurité économique - au sort des marchés très volatils des cryptomonnaies. « La loi sur le bitcoin joue essentiellement avec deux bourses publiques, celle du gouvernement du Salvador et celle du FMI », a déclaré Daniel Munevar, un économiste colombien qui se concentre sur la justice de la dette. « C'est une chose pour un Américain de parier son chèque de relance sur les cryptomonnaies dans l'espoir de gros rendements, mais là, c'est l'investissement Yolo [on ne vit qu'une fois] élevé au niveau national », a-t-il ajouté.
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