Washington écarte davantage les entreprises chinoises
En l'espace de deux ans, les relations entre les entreprises chinoises et américaines ont été considérablement chamboulées en raison de tensions entre Washington et Pékin. Tout a commencé vers fin 2018 après que l'ex-président américain Donal Trump a accusé le géant chinois Huawei d'espionnage pour le compte de Pékin et l'a écarté des grands projets d'infrastructures de télécommunications dans le pays (comme le déploiement de la 5G). S'en suit une série de mesures contre la société qui ont finalement conduit à sa mise sur liste noire par Washington en 2019. Dans la foulée, d'autres entreprises chinoises ont connu le même sort.
Alors que des analystes avaient prédit un adoucissement du climat des affaires avec l'arrivée de Biden, l'étau se resserre désormais autour des sociétés chinoises. Jeudi, Biden a signé un décret interdisant aux Américains de détenir ou de négocier tout titre lié à 59 entreprises chinoises. Si son prédécesseur avait avancé des arguments d'espionnage, Biden invoque la menace des technologies de surveillance chinoises. Le décret initial de Trump s'appliquait à 31 entreprises chinoises qui, selon l'administration, « permettent le développement et la modernisation de l'armée chinoise et menacent directement la sécurité des États-Unis ».
Ainsi, Biden poursuit en grande partie la campagne que son prédécesseur avait lancée contre les sociétés technologiques et autres entreprises chinoises. Le nouveau décret entrera en vigueur le 2 août et Washington a annoncé que la liste des entreprises concernées sera mise à jour au fur et à mesure que la situation progresse. La nouvelle liste inclut de nombreuses entreprises de surveillance. Le décret n'élargit pas seulement celui de Trump, il transfère également l'autorité de l'interdiction du département de la Défense au département du Trésor, afin de lui donner une base juridique plus solide.
Les responsables de Maison Blanche se sont exprimés sous le couvert de l'anonymat pour présenter le décret avant sa publication. « Le décret vise à garantir que les personnes américaines ne financent pas le complexe militaro-industriel de la République populaire de Chine. Les interdictions sont intentionnellement ciblées et délimitées pour maximiser l'impact sur les cibles tout en minimisant les dommages sur les marchés mondiaux. Nous nous attendons pleinement à ce que dans les mois à venir nous ajoutions des entreprises supplémentaires aux restrictions du nouveau décret », a déclaré la Maison Blanche.
Le décret ne fournit pas plus de détails sur la façon dont les technologies de surveillance sont utilisées par la Chine, mais les responsables américains ont souvent exprimé leur inquiétude concernant la reconnaissance faciale et d'autres outils de surveillance que la Chine a utilisés contre sa population minoritaire ouïghoure et contre les manifestants prodémocratie à Hong Kong. Les entreprises chinoises commercialisent également une gamme de technologies pouvant être utilisées pour la surveillance, un développement qui, selon le secrétaire d'État Antony Blinken, « contribue à une concurrence mondiale entre technodémocraties et technoautocraties ».
Le maintien de l'interdiction de Trump est un autre signe que Biden poursuit l'approche dure de son prédécesseur envers la Chine. Biden a également maintenu les droits de douane à l'importation que Trump a prélevés sur de nombreux produits chinois, et en mars, il a mis en œuvre un autre décret de Trump en envoyant des assignations à comparaître à plusieurs entreprises chinoises pour obtenir des informations sur d'éventuels risques pour la sécurité nationale.
La Chine condamne le décret de Biden et pourrait riposter
Huawei a récemment déclaré que les sanctions qui lui ont été imposées par les États-Unis en 2019 ont eu un impact majeur sur son activité de combinés. Ils ont pris des mesures au milieu d'affirmations selon lesquelles l'entreprise présentait un risque pour la sécurité. En juillet dernier, le Royaume-Uni a déclaré qu'il exclurait l'entreprise de la construction de son réseau 5G. Alors qu'il était autrefois le plus grand fabricant de smartphones au monde, Huawei est maintenant classé sixième sur le plan mondial avec une part de marché de 4 % au premier trimestre. Samsung a repris la couronne à Apple au premier trimestre de cette année.
De nombreuses entreprises qui figuraient sur la liste de Trump – dont Huawei et Hikvision, un important fabricant et fournisseur d'équipements de vidéosurveillance – restent sur celle-ci. Certaines des plus grandes entreprises de télécommunications du pays, dont China Mobile, China Telecommunications et China Unicom, restent également interdites. Dès l'annonce du décret, la Chine a condamné le nouveau décret. « Nous sommes fermement opposés à cela », a déclaré Wang Webin, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, lors d'un briefing régulier vendredi, exhortant les États-Unis à retirer la liste.
« Le gouvernement américain étire le concept de sécurité nationale, abuse du pouvoir national et utilise tous les moyens possibles pour supprimer et restreindre les entreprises chinoises », a déclaré jeudi Wang. Selon le porte-parole, cette décision porte atteinte « non seulement aux droits et intérêts légitimes des entreprises chinoises, mais aussi aux intérêts des investisseurs mondiaux, y compris les investisseurs américains ». Notons que plusieurs des entreprises qui ont été nommées dans les deux décrets ont précédemment rejeté les allégations selon lesquelles elles étaient liées à l'armée chinoise comme étant sans fondement.
Xiaomi a même fait pression avec succès contre son inclusion dans la liste de l'ère Trump, et en mai dernier, le ministère américain de la Défense et le fabricant de smartphones ont conclu un accord pour mettre de côté l'interdiction de l'entreprise. Le geste de Biden suggère que Washington ne se précipite pas pour faire amende honorable auprès de Pékin. « Le nouveau décret rapproche le monde d'un découplage stratégique dans le secteur financier mondial », a déclaré Alex Capri, chargé de recherche à la Fondation Hinrich et chercheur principal invité à l'Université nationale de Singapour.
Il a ajouté que cela « souligne la difficulté que les sociétés financières américaines auront à l'avenir, en essayant de déterminer lesquels de leurs investissements ont des liens avec l'État chinois ».
Pourquoi blâme-t-on uniquement des entreprises chinoises ?
Sur la scène internationale, plusieurs universitaires et politiques se disent préoccuper par le décret de Biden et son impact sur l'économie mondial. Aux États-Unis, des législateurs se sont montrés sceptiques quant au transfert de l'autorité au Trésor. « Nous savons avec certitude que Wall Street contribue à financer les efforts du Parti communiste chinois pour affaiblir et finalement remplacer le leadership américain. L'histoire des deux dernières décennies a été le manque de volonté de l'Amérique de faire face à l'exploitation par Pékin de nos systèmes juridiques, politiques et financiers », a déclaré le sénateur Marco Rubio (R-Fla) dans un communiqué.
« Alors que l'administration a mis à jour la politique de l'ère Trump de manière importante, je suis très préoccupé par le fait que le département du Trésor du président Biden est trop étroitement aligné avec Wall Street pour prendre les mesures nécessaires pour empêcher que les économies américaines soient utilisées pour financer le Parti communiste chinois », a-t-il ajouté. Mais certains pensent que le président a adopté la bonne stratégie. « Le Trésor dispose d'une structure réglementaire pour répertorier les noms et faire respecter les interdictions. Ce n'est pas le cas de la Défense », a déclaré Kevin Wolf, associé chez Akin Gump Strauss Hauer & Feld.
Cependant, l'on se demande pourquoi les États-Unis adoptent une telle stratégie vis-à-vis des entreprises chinoises alors que leurs grandes entreprises technologiques ne sont pas "totalement" innocentes face aux mêmes accusations. L'argument de Washington selon lequel les entreprises interdites travailleraient avec l'armée chinoise a été remis en cause par plusieurs critiques. En premier, elles citent les contrats entre les entreprises technologie américaines et le département de la Défense (DoD). L'un des exemples les plus récents est le contrat JEDI de plus de 10 milliards de dollars accordé à Microsoft par le Pentagone pour bâtir une infrastructure cloud pour la défense.
Pas plus tard qu'en avril dernier, la firme de Redmond a également remporté un contrat de 21,9 milliards de dollars avec l'armée US pour la fourniture de casques de réalité augmentée basés sur sa technologie HoloLens. À travers ce contrat, Microsoft devra livrer à l’armée américaine plus de 120 000 casques RA. L'armée US a annoncé que le contrat s'étend sur 10 ans et s'inscrit dans le cadre du programme IVAS (Integrated Visual Augmentation System). En 2019, un rapport estimait qu'Amazon, Microsoft et Intel étaient les entreprises en bonne voie pour la création potentielle de "Skynet".
Selon le rapport, Microsoft serait l'entreprise la plus impliquée dans le développement d'armes létales autonomes. Amazon et Oracle entretiennent également des liens étroits avec le DoD. AWS propose, par exemple, sur son site Web une infrastructure pour la défense. La société aurait également vendu une technologie de reconnaissance faciale à la police américaine. Entre autres projets de défense, l'armée américaine prévoit également des améliorations cybernétiques pour fusionner les humains et les machines à l'horizon 2050. Elle prévoit en effet des soldats avec une vue surhumaine et des muscles augmentés et contrôlables. Des entreprises américaines devraient s'en occuper.
Dans le domaine de l'espionnage et de la surveillance, les critiques estiment que les entreprises américaines, notamment Google et Facebook, sont "les plus grands espions de l'ère technologique". « Bien sûr ! Collecter nos données personnelles, les traiter, les vendre au secteur privé ou aux gouvernements, les utiliser pour de la publicité ou pour la reconnaissance faciale – parfois sans notre consentement – n'est pas de la surveillance lorsque cela se passe sur le sol américain », lit-on dans les commentaires. « Ce que craint le gouvernement américain n'est-il par ailleurs ou voilé ? », demandent certaines critiques.
Ces dernières années, Oracle a été accusé à plusieurs reprises d'avoir commercialisé et vendu du matériel de surveillance et auraient permis à la Chine de parfaire la répression contre les Ouïghoures. Selon un rapport de The Intercept publié en février, Oracle aurait aidé Pékin à collecter, analyser et utiliser les données des Chinois, alors que l'entreprise était censée empêcher la transmission de données à la Chine en rachetant TikTok. D'autres arguments remettant en cause le décret de Biden ont également été avancés par les critiques. En attendant la réponse de Pékin, certains craignent que les entreprises américaines paient le prix fort à l'avenir.
Une grande majorité des fabricants américains de téléphones, de semiconducteurs, d'ordinateurs et d'autres équipements ont leurs usines en Chine. Certaines d'entre elles ont même leur plus grande usine dans l'Empire du Milieu. Ainsi, l'on craint que Pékin ne prenne des mesures qui rendent difficile l'exploitation de ses usines. Selon les analystes, cela risquerait de déclencher une crise sans précédent à l'instar de celle des semiconducteurs qui frappe actuellement l'industrie. « L'industrie technologique américaine est très dépendante (même si l'on se refuse à le croire) de la Chine et une mesure contre elle pourrait être catastrophique », mettent en garde les critiques.
Source : Décret de Biden
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