Internet par satellite : nuisible aux régimes autoritaires ?
En dépit des avertissements des astronomes concernant les risques d'un ciel trop éclairé sur l'observation des astres et des corps célestes, beaucoup sont ces entreprises qui se sont aujourd'hui lancées dans la course à la conquête de l'espace. Ainsi, Amazon avec le projet Kuiper, SpaceX avec Starlink (qui fonctionne déjà dans certaines régions d'Amérique du Nord et en Europe) et OneWeb, financé par le Royaume-Uni, visent tous à offrir un service Internet haut débit, à faible latence et à moindre coût depuis l'espace. Le service sera assuré par une constellation de milliers de satellites Internet déployés à basse altitude autour de la terre.
Cependant, certains estiment que ces projets constituent un défi imminent à la domination de l'information dont jouissent les États autoritaires du monde. Pour eux, la capacité de fournir un accès Internet relativement peu coûteux, hors du contrôle du gouvernement, « est à la fois un défi pour les États autoritaires et une opportunité pour les démocraties ». Une analyse sur le sujet indique que des pays comme l'Iran, la Russie et la Chine allouent des ressources et une énergie considérables pour contrôler la façon dont l'information est diffusée dans leurs nations respectives.
Les personnes, notamment les dissidents, qui tentent d'accéder à l'Internet ouvert et de communiquer sur cet Internet pourraient ainsi avoir des difficultés dans ces pays. Mais que sont les satellites à basse altitude et à faible latence et pourquoi les États autoritaires en seraient-ils inquiets ? D'après les analystes, le problème (pour ces États) et la promesse (pour les démocraties) seraient la capacité de ces services à fournir un accès Internet à large bande presque partout sur la terre, sans qu'il soit nécessaire d'installer un nouveau terminal au sol. En outre, ces satellites orbitent à seulement quelques centaines de kilomètres (orbite terrestre basse).
De ce fait, leurs terminaux sont plus petits, portables et plus faciles à dissimuler et à passer en douce. En comparaison, les satellites de télécommunication sont en orbite géostationnaire, soit à une altitude d'environ 35 000 km. Une antenne Starlink, par exemple, mesure environ 48 centimètres de diamètre, soit la taille d'une pizza extralarge, et ne pèse que quelques kilos. Avec l'un de ces terminaux, les utilisateurs pourraient contourner rapidement et à peu de frais les contrôles nationaux sur Internet et l'accès à l'information, et passer des appels téléphoniques ( Skype ou Zoom) en dehors des systèmes contrôlés par les gouvernements.
Ces solutions Internet peuvent aussi offrir Internet aux zones les plus reculées de la planète. C'est donc cette liberté d'accès à l'information et de communication qui inquiéterait la Russie, la Chine et la Corée du Nord. En outre, elle pourrait offrir aux États démocratiques la possibilité de rééquilibrer leur désavantage actuel en matière d'information. « Je pense que ces satellites offrent aux démocraties la possibilité de prendre le dessus sur les régimes autoritaires en fournissant un accès gratuit ou à faible coût à l'information par le biais de ces systèmes satellitaires », a déclaré Michael Schwille, analyste politique senior chez RAND et spécialiste de la guerre de l'information.
Chine et Russie : une contre-attaque se préparerait
Selon les explications des spécialistes, ces régimes autoritaires auraient anticipé la menace et auraient donc commencé par élaborer des idées de contre-attaque. En 2016, Elon Musk, PDG de Starlink, a déclaré aux journalistes que la Chine et ses lois sur Internet étaient une grande préoccupation pour son entreprise. « S'ils s'énervent contre nous, ils peuvent faire exploser nos satellites, ce qui ne serait pas bon. La Chine peut le faire. Donc probablement que nous ne devrions pas diffuser là-bas », a-t-il déclaré dans une interview. Le pays craindrait d'être "infecté" par "les idéaux américains de liberté, de démocratie et de droits de l'homme".
Pékin, Moscou et Pyongyang (ainsi que Téhéran et d'autres) seraient préoccupés par la menace que représente l'accès non supervisé à l'information. La préoccupation de Pékin semble ne pas être nouvelle et rappelle le projet "Great Firewall of China". Depuis sa mise en place, les contrôles de Pékin se seraient étendus, avec des centaines de milliers de censeurs et des milliards de dollars dépensés pour le contrôle informationnel et sociétal, y compris les systèmes de crédit social particulièrement intrusifs. Enfin, pour contrer Starlink et ses pairs, la Chine se préparerait à lancer sa propre constellation de 10 000 satellites Internet en orbite basse, un projet baptisé StarNet.
En Corée du Nord, le régime serait également dépendant du contrôle de l'information. Selon les analystes, il s'agit d'un contrôle impressionnant, mais cela constitue également une faiblesse déguisée en force. Si la Chine fait craindre à Musk de voir ses satellites "exploser" tout en préparant un projet similaire, l'on estime que la Corée du Nord pourrait aller plus loin. Le pays, qui interdit à ses citoyens d'accéder à Internet et qui est célèbre pour bombarder les haut-parleurs à l'artillerie et punir les citoyens qui accèdent aux tours de téléphonie cellulaire chinoises, n'a toutefois pas encore commenté publiquement ces services.
Compte tenu de ces antécédents, il serait peu probable que la réaction de Pyongyang soit très positive. De son côté, la Russie aurait déjà commencé à envisager des lois pour rendre Starlink illégal. Le gouvernement russe aurait déclaré qu'il infligerait aux utilisateurs individuels une amende de 10 000 à 30 000 roubles (environ 200 à 400 USD) et aux entités plus importantes près d'un million de roubles (environ 12 000 USD) s'ils étaient pris en train d'utiliser le service. Le chef de l'espace russe, Dmitry Rogozin, a déclaré en août 2020 que Starlink est « une politique de haute technologie plutôt prédatrice, intelligente et puissante des États-Unis ».
Il ajoute que « les États-Unis utilisent le système "Shock and Awe" pour faire avancer, avant tout, leurs intérêts militaires ». Rogozin a publiquement déclaré que les aspects plus humanitaires de Starlink, en ce sens qu'il fournirait un accès Internet aux personnes vivant dans des zones reculées, étaient "des absurdités." Il a soulevé des problèmes de souveraineté à l'instar de l'Union européenne. En janvier dernier, l'UE a entrepris une démarche qui semble montrer qu'elle ne souhaite pas laisser Starlink s'assoir sur le marché européen.
Elle a confié une étude de faisabilité pour un système spatial indépendant de communications aux géants européens de la technologie. L'étude de faisabilité devrait avoir une durée d'un an, coûtera 7,1 millions d'euros et est destinée à concevoir un système spatial indépendant de communications propre à l’Union européenne. Elle est confiée à un consortium de fabricants et d’opérateurs de satellites, d’un opérateur de télécommunication et du fournisseur européen de services de lancement afin d’étudier la conception, le développement et le lancement d’un système spatial européen de communications.
Source : thedebrief.org
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