Cet accord fixe les principes selon lesquels Google négociera des accords individuels de licence avec les membres de l’Alliance dont les publications sont reconnues « d'Information Politique et Générale », tout en reflétant les principes fixés par la loi. Ces accords individuels de licence couvriront les droits voisins, et ouvriront l’accès à News Showcase, un nouveau programme de licence de publications de presse lancé récemment par Google, qui permettra aux lecteurs d’accéder à un contenu enrichi.
La rémunération prévue dans les accords de licence entre chaque éditeur de presse et Google est basée sur des critères tels que, par exemple, la contribution à l'information politique et générale, le volume quotidien de publications ou encore l’audience Internet mensuelle.
Pierre Louette, PDG du Groupe Les Echos - Le Parisien et, Président de l’Alliance de la Presse d’Information Générale, déclare : « Après de longs mois de négociations, cet accord est une étape importante, qui marque la reconnaissance effective du droit voisin des éditeurs de presse et le début de leur rémunération par les plateformes numériques pour l’utilisation de leurs publications en ligne ».
Sébastien Missoffe, Directeur Général de Google France déclare : « Cet accord est une étape majeure pour Google. Il confirme notre engagement auprès des éditeurs de presse dans le cadre de la loi française sur le droit voisin. Il ouvre de nouvelles perspectives pour nos partenaires, et nous sommes heureux de contribuer à leur développement à l’ère du numérique et soutenir le journalisme ».
Les modalités
Alphabet, la maison mère de Google, est convenue de verser 76 millions de dollars (62,7 millions d’euros) au groupe d’éditeurs de presse français, d'après deux documents.
L’un des deux documents est un accord cadre stipulant que Google est prêt à verser 22 millions de dollars par an pendant trois ans à un groupe de 121 publications nationales et locales, qui signeront chacune un accord individuel de licence. Le second document, baptisé « protocole transactionnel », prévoit le versement par Google de 10 millions de dollars au même groupe d’éditeurs en échange duquel ces derniers s’engagent à mettre fin à tout litige, actuel ou futur, concernant les droits voisins sur une durée de trois ans. Pour donner un ordre d'idée, Le Monde va récupérer 1,3 million de dollars chaque année, La Voix de la Haute Marne 13 741 dollars. En plus de ces sommes, Le Monde, Le Figaro et Libération et leurs groupes respectifs sont également parvenus à négocier d’environ 3 millions d’euros chacun par année en acceptant en novembre dernier de s’associer avec Google pour vendre des abonnements via un service offert par le géant du numérique, a indiqué une source proche du dossier.
Seul hic, l'opacité règne, il est impossible de savoir comment sont calculées les sommes versées par Google.
L'Agence France-Presse (AFP) et d'autres fournisseurs d'informations français n'appartenant pas au groupe ne font pas partie de l'accord et poursuivent diverses actions contre Google.
L'accord fait suite à la mise en œuvre par la France de la première règle du droit d'auteur promulguée dans le cadre d'une récente loi de l'Union européenne qui crée des « droits voisins », obligeant les grandes plateformes technologiques à ouvrir des pourparlers avec les éditeurs à la recherche d'une rémunération pour l'utilisation de contenu d'actualité.
En Australie, les législateurs ont rédigé une légalisation qui obligerait Google et Facebook à payer les éditeurs et les diffuseurs pour le contenu. Google a menacé de fermer son moteur de recherche en Australie si le pays adoptait cette approche, que la société a qualifiée « d'irréalisable » sous sa forme actuelle.
Aux États-Unis, l'industrie de l'information soutient une législation qui lui permettrait de négocier collectivement avec les grandes plateformes sans enfreindre la loi antitrust. Au Congrès, les législateurs ont récemment publié un rapport affirmant que les entreprises technologiques dominantes ont nui à l'industrie de l'information parce qu'elles « peuvent imposer des conditions unilatérales aux éditeurs, comme des accords de partage des revenus à prendre ou à laisser ».
La réaction du syndicat des éditeurs indépendants d'information en ligne (Spiil)
Plus tôt ce mois-ci, le Spiil a dénoncé des accords opaques, inéquitables et nuisibles pour l’indépendance de la presse :
« La presse indépendante s’alarme de la teneur des premiers accords signés entre Google et certains éditeurs de presse sur les droits voisins. Ces accords confirment et amplifient les craintes exprimées par le Spiil depuis 2016 sur le sujet. Inéquitables et opaques, ils ne favorisent ni le pluralisme ni l’indépendance de la presse.
« Inéquitables, ces accords créent une dangereuse distorsion de concurrence. Il est ainsi erroné, comme l'ont fait plusieurs médias, d’écrire que « la presse française » a signé un accord de rémunération des droits voisins : Google réserve ces contrats aux seuls titres reconnus d’information politique et générale (IPG). Or cette reconnaissance concerne moins de 13% des éditeurs de presse. Cette approche très restrictive de la mise en œuvre de la rémunération des droits voisins est contraire à l’esprit et à la lettre de la loi de 2019. Google bénéficie ici d’un effet d’annonce trompeur.
« Opaques, ces accords ne permettent pas de s’assurer du traitement équitable de tous les éditeurs de presse, dès lors que la formule de calcul n’est pas rendue publique. Le Spiil regrette que la profession n’ait pas su mettre ses désaccords de côté pour mener une négociation commune. Google a profité de nos divisions pour faire avancer ses intérêts.
« Un exemple en est le choix de l’audience comme un critère prépondérant du calcul de la rémunération. Ce choix est bien dans l’intérêt industriel de Google, mais il est une catastrophe pour notre secteur et notre démocratie. Il va favoriser la course au clic et au volume - une stratégie qui bénéficie plus aux plateformes qu’aux éditeurs et qui ne favorise pas la qualité. La référence à des coûts de production, comme la masse salariale de journalistes, était rendue possible par la loi de 2019 et aurait permis de mieux refléter la véritable contribution au pluralisme.
« Nous appelons par ailleurs les régulateurs à examiner en détail les accords commerciaux conclus pour l'utilisation du service « Subscribe with Google », pour qu'ils s'assurent qu’ils ne constituent pas un complément de rémunération au titre des droits voisins qui ne seraient offerts qu’à certains éditeurs.
Surtout, ces accords renforcent encore le pouvoir d’intermédiaire de Google au sein de l’écosystème de la presse française. Encourager une telle situation de dépendance vis-à-vis d’un tel acteur pour la conquête et la rétention d’abonnés nous semble une erreur stratégique majeure.
« En effet, Google fait tout pour ne pas rémunérer les droits voisins, mais pour « noyer » son obligation à ce titre dans son initiative Google News Showcase. Avec succès. Selon nos informations, l’accord-cadre sur le point d’être signé entre Google et l’Apig (Alliance pour la Presse d’information générale) permet bien, en théorie, aux éditeurs de l’Apig d’exiger une rémunération des droits voisins sans utiliser News Showcase. Mais son montant n’est pas fixé dans cet accord-cadre. Le risque est réel que cette rémunération soit symbolique, et donc que les éditeurs aient un intérêt très grand à s’engager auprès de News Showcase, comme nombre d’entre eux l’ont d’ailleurs déjà fait.
« La situation est encore pire pour les nombreux éditeurs IPG non adhérents de l’Apig. Le seul moyen de voir leurs droits voisins rémunérés est d’accepter de s’engager à utiliser News Showcase. Google leur refuse fermement une rémunération des seuls droits voisins.
« Quel paradoxe ! Une initiative lancée en grande pompe pour limiter le pouvoir des plateformes aboutit à une mainmise encore plus forte de ces intermédiaires dans la chaîne de valeur de l’information numérique. Tristement, les droits voisins n’auront finalement contribué, au-delà du bénéfice financier immédiat pour certains éditeurs, qu’à uberiser un peu plus les producteurs professionnels d’information…
« Ainsi, le Spiil réaffirme sa position de principe contre les droits voisins, qui sont une mauvaise réponse à un vrai problème, ne représentent pas une solution pérenne pour le financement de la presse et aggravent sa dépendance vis-à-vis des plateformes.
« À court terme, et dans la mesure où les droits voisins sont aujourd’hui inscrits dans la loi, le Spiil appelle donc les pouvoirs publics (Autorité de la concurrence, ministère de la Culture) :
- à exiger la publication de la formule de calcul détaillée utilisée par Google pour calculer les montants proposés aux éditeurs au titre des droits voisins ;
- à exiger la possibilité pour tous les éditeurs de voir leurs droits voisins rémunérés sans condition d’usage d’aucun autre service Google ;
- à imposer l’ouverture des droits voisins à tous les éditeurs éligibles selon la loi de 2019, au-delà donc des seuls titres IPG ;
- à s’assurer que les accords commerciaux consentis à certains éditeurs, notamment pour leur utilisation du produit « Subscribe with Google » , ne constituent pas un complément déguisé de rémunération des droits voisins ; et donc à garantir que tous les éditeurs de presse puissent obtenir des accords commerciaux similaires s’ils souhaitent utiliser ce service.
« À moyen terme, le Spiil appelle de ses vœux une régulation ambitieuse de la diffusion de la presse sur les plateformes numériques, tenant compte de la situation oligopolistique d’un nombre très réduit de plateformes dans la distribution numérique de la presse. Notre syndicat prendra toute sa part dans le débat - nécessairement européen - pour que les algorithmes et les plateformes soient réellement au service d’une diffusion démocratique et pluraliste de l’information en ligne ».
Source : Spiil