Les entreprises se sentent contrariées et tournent le dos à la Silicon Valley
La Silicon Valley, une région située au sud de la baie de San Francisco en Californie, a vu naître et grandir les plus grands noms de l'industrie technologique mondiale. Depuis plusieurs décennies, elle accueille de nombreuses startups et entreprises multinationales de technologies, dont Apple, Facebook et Google font partie des plus connues. Elle représente également le site d'institutions technologiques centrées autour de l'université de Stanford, à Palo Alto. En outre, elle abrite le musée de l'Histoire de l'Ordinateur et le Ames Research Center de la NASA, ainsi que le Tech Museum of Innovation qui se trouve à San José.
La Californie a su créer le plus grand environnement d'innovation jamais observé, devenant ainsi le plus grand pôle technologique au monde. Cependant, les analystes pensent que la Californie perdra cette notoriété si les législateurs de cette région continuent à contrarier les entreprises. Ces dernières années, tout porte à croire que l'État s'est engagé dans une politique qui porte atteinte au développement des entreprises et à l'innovation elle-même. Cela a eu pour effet de déclencher un exode sans précédent d'entreprises prospères vers d'autres régions qu'elles jugent plus paisibles et propices à l'innovation.
Il y a peu, la société Hewlett Packard Enterprise a annoncé son départ pour Houston. Oracle Corp. a déclaré qu'elle allait décamper pour Austin. Palantir Technologies, Charles Schwab et McKesson Corp. partent aussi s'installer ailleurs. Un avatar de l'ère de l'information, notamment Elon Musk en a eu assez. Il pense que les régulateurs sont devenus "complaisants" et "autoritaires" à l'égard des entreprises technologiques de classe mondiale de l'État. Tôt en décembre, il a annoncé s'être installé au Texas, après avoir annoncé en mai que Tesla allait déplacer son siège et ses futurs programmes au Texas ou au Nevada.
Selon les analystes, il n'a pas tort, il a raison. Le secteur des hautes technologies de la Silicon Valley fait l'envie du monde entier depuis des décennies, mais son succès n'a rien d'inévitable. Comme de nombreuses villes l'ont constaté ces dernières années, la construction de telles agglomérations est extrêmement difficile, tant sur le plan de l'art que de la science. Des impôts peu élevés, une réglementation modeste, des infrastructures solides et de bons systèmes éducatifs sont autant d'atouts, mais ne suffisent pas toujours. De plus, une fois gaspillé, un tel dynamisme ne peut pas facilement être ranimé.
Parlant de son déménagement au Texas, Musk a déclaré que la Californie considérait les innovateurs comme acquis avec des réglementations strictes qui freinent les possibilités de croissance et a suggéré que la Silicon Valley pourrait perdre de son importance dans le monde de la technologie. « Vous avez une forêt de séquoias et les petits arbres ne peuvent pas pousser. La Californie gagne depuis longtemps, et je pense qu'ils tiennent cela pour acquis. Je pense que nous verrons une certaine réduction de l'influence de la Silicon Valley », a-t-il déclaré au Wall Street Journal le mois dernier.
Ajouté à cela, il y a les conditions de vie sans cesse dégradantes des Californiens. En 2020, au sein de l'État, il y a eu de graves incendies de forêt, des coupures de courant et l'aggravation de l'épidémie de coronavirus. En gros, l'année n'a pas été très bonne pour la Californie, qui perd désormais ses entreprises les plus influentes au profit d'autres États.
La Californie accusée de pratiquer une politique nuisible aux entreprises
Ces dernières années, San Francisco a semblé supplier les entreprises de partir. En plus des échecs familiers de la gouvernance (sans-abrisme généralisé, transit inadéquat, montée en flèche des crimes contre la propriété), elle a également imposé des obstacles plus idiosyncrasiques. Loin d'accueillir l'expérimentation, il a cherché à saper ou à supprimer les services de location à domicile, les applications de livraison de nourriture, les entreprises de covoiturage, les entreprises de scooters électriques, la technologie de reconnaissance faciale, les robots de livraison et bien d'autres choses encore.
Un projet de loi adopté en 2019 (l'Assembly Bill 5 - AB5), apparemment destiné à protéger les travailleurs de l'économie à la tâche (gig economy), a menacé de défaire les modèles économiques de certaines des plus grandes entreprises technologiques de l'État, dont Uber et Liyft, jusqu'à ce que les électeurs leur accordent un sursis lors d'un référendum en novembre. Avant ça, au cours de l'été 2020, le PDG d'Uber, Dara Khosrowshahi, et celui de Lyft, Logan Green, avaient menacé de fermer temporairement leur service respectif en Californie si l'AB5) devait être maintenue.
En outre, la Californie a tenté d'interdire les cafétérias d'entreprise, un avantage majeur de l'industrie technologique, en se fondant sur la théorie, pas si sûre, que cela protégerait les restaurants locaux. Elle a créé un "Bureau des technologies émergentes" qui n'autorisera l'essai de nouveaux produits que s'ils sont considérés, par un bureaucrate de la ville, comme un "bien commun net". D'après les critiques de l'industrie, « quels que soient les mérites d'une telle ingérence, il ne s'agit guère d'une formule permettant une inventivité rapide et sans limites ».
De même, une nouvelle loi sur la protection de la vie privée a imposé d'énormes charges de mise en conformité, qui s'élèvent à 1,8 % de la production de l'État en 2018, tout en ne conférant pratiquement aucun avantage aux consommateurs. L'État pratique également un taux d'imposition des sociétés de 8,8 % des plus élevés du pays et a le taux d'imposition sur le revenu le plus élevé des États-Unis, soit 13,3 %. Mais ce n'est pas la première fois qu'une telle chose arrive. La ville de New York a été le premier centre financier du monde pendant de nombreuses années.
Elle est aussi devenue de plus en plus le siège d'une communauté technologique florissante. Cependant, un mélange similaire de mauvais choix politiques, d'impôts élevés, de bureaucratie inutile, de criminalité croissante et d'hostilité occasionnelle pure et simple (comme dans le cas de l'opposition insensée au projet de siège social d'Amazon) a poussé les deux industries vers des climats plus amicaux ces dernières années. Une telle négligence est d'autant plus dommageable, car de tels pôles accélèrent la circulation des idées, concentrent les travailleurs qualifiés et créent de nouveaux réseaux productifs.
Ils sont susceptibles de stimuler les investissements, la création d'entreprises, l'innovation, les salaires et la croissance. Et leurs bénéfices sont largement partagés : selon une estimation, chaque nouvel emploi technologique crée cinq emplois supplémentaires dans d'autres industries, soit un effet multiplicateur environ trois fois plus important que pour l'industrie manufacturière. Sans parler des produits immensément populaires qui en résultent.
La concurrence agressive du Texas qui attire davantage d'entreprises
Pour l'instant, il est peu probable que la région de la baie de San Francisco ait perdu sa notoriété de centre technologique de pointe du pays et du monde. Après tout, elle abrite toujours certaines des entreprises les plus précieuses du monde (Google, Apple, Facebook, Intel, etc.), attire une part importante des investissements en capital-risque et reste un incubateur inégalé pour les jeunes pousses. En outre, les prévisions concernant une possible disparition de la Silicon Valley se sont révélées fausses pendant des décennies. Mais si elle ne peut pas disparaître, elle peut perdre sa place de choix dans le monde IT.
Des analystes estiment en effet qu'aucun État ne peut contrarier ses entreprises de manière aussi extravagante et s'attendre à ce qu'elles restent sur place pour toujours. Comme tous les Californiens le savent, la voie ouverte est trop invitante. L'exode des entreprises qui a commencé depuis semble s'accélérer et la Californie devrait arranger les choses au risque de voir la vague de déménagement s'accentuer. D'autres États, principalement le Texas, rival de longue date de la Californie, semblent faire tout le contraire de ce que font les législateurs californiens.
Ainsi, depuis quelques années maintenant, la Californie, avec ses coûts de logement élevés, ses incendies de forêt et ses réglementations commerciales strictes, perd des résidents au profit d'autres États, le Texas étant la destination la plus populaire. Selon les chiffres du recensement, sur plus de 653 000 personnes qui ont quitté la Californie l'année dernière, environ 82 000 sont allées au Texas, plus que dans tout autre État. En dehors d'Elon Musk, de nombreux autres cadres et investisseurs en capital-risque se sont installés au Texas. Cela leur permettra par exemple d'économiser des milliards de dollars en impôts sur le revenu.
En fait, le Texas ne perçoit pas d'impôt sur le revenu des personnes physiques, contrairement à la Californie qui a le taux d'imposition le plus élevé du pays. « Si une équipe gagne depuis trop longtemps, elle a tendance à être un peu complaisante, un peu habilitée et ensuite elle ne gagne plus le championnat. La Californie gagne depuis trop longtemps », a déclaré Musk à propos de la Californie en décembre au Wall Street Journal. Il estime en effet que si les choses continuent ainsi, la Californie perdra tous ses atouts et tous ses innovateurs d'ici quelques décennies.
La même chose risque-t-elle d'arriver en France ? En effet, le gouvernement français cherche à encadrer davantage le secteur technologique, en particulier à apporter plus de réglementation dans les impôts payés par les entreprises technologiques. Il y a par exemple la « taxe Gafa » qui, selon Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie, a déjà rapporté à la France 350 millions d'euros. Pour l'économiste, le débat des taxes sur le numérique en Europe est plus pertinent que jamais, mais cela ne risque-t-il pas d'encourager les entreprises à partir ou faire payer cette taxe aux consommateurs ?
Amazon France l'a déjà fait. Le détaillant a en effet répercuté la « taxe Gafa » sur ses tarifs aux entreprises françaises, quelques mois après son adoption définitive. Il a tout simplement déclaré qu'il n'est pas disposé à payer un supplément d'impôt et a décidé que sa part sera payée par les petites et moyennes entreprises françaises qui utilisent sa plateforme de vente en ligne pour écouler leurs produits. En outre, cette taxe est actuellement source de discussions tendues entre la Maison Blanche et l'Élysée, car les États-Unis jugent qu'elle est illégitime. Le pays menace même de contre-attaquer avec plus d'impôts sur les exportations françaises.
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