Le directeur général d'Alphabet, la maison mère de Google, a présenté ses excuses à Thierry Breton après qu'un document interne ait exposé un plan d'attaque contre le commissaire européen. Sundar Pichai a promis que de telles tactiques n'étaient « pas notre façon de fonctionner », en faisant référence à Google.
Lors d'une réunion virtuelle qui s’est tenue le jeudi 12 novembre dernier, Sundar Pichai a déclaré à Thierry Breton (le commissaire européen à l'Industrie, au Marché intérieur, au Numérique, à la Défense et à l'Espace) que Google est une très grande entreprise et que le document ne lui a jamais été montré. Il a ajouté qu'il n'avait pas "approuvé" le plan, selon deux personnes témoins de la conversation.
Il s’agit d’un document confidentiel et interne de Google intitulé « DSA 60-Day Plan Update ». Le document expose la réponse de Google à la nouvelle législation européenne, la loi sur les services numériques ou le Digital service Act (DSA), qui entrera en vigueur au plus tard en 2023. Assorti, sur la première page, de la mention « Privileged & Need-to-know » (accès confidentiel, à partager seulement entre ceux qui ont besoin de savoir), ce document était destiné à mobiliser les membres de l’équipe de lobbying du moteur de recherche à tout faire pour vider de sa substance la nouvelle législation numérique en cours d’élaboration à Bruxelles : le Digital Services Act.
L’objectif du DSA est de mettre à jour le cadre juridique de l'Union européenne, notamment en modernisant la directive sur le commerce électronique adoptée en 2000. Ce règlement couvrira donc tout un arsenal d’outils législatifs très contraignants pour les géants d’Internet, une obligation de modération à hauteur de la haine en ligne, tout comme une obligation de résultat dans la lutte contre la désinformation. Le DSA ambitionne de donner un cadre législatif à l’espace informationnel pour les vingt prochaines années. Le DSA sera accompagné d’un texte cousin, le Digital Markets Act, qui envisage l’interdiction pour un moteur de recherche d’afficher en priorité ses services de voyages, tout comme il encadrera la préinstallation d’applications sur les smartphones. En cas de non-respect, des sanctions très lourdes, allant jusqu’au démantèlement, pourront être appliquées.
Le « DSA 60-Day Plan Update » contient une stratégie de deux mois visant à supprimer les « contraintes déraisonnables » du modèle d'entreprise de Google et à « réinitialiser le discours ». Il a ciblé Breton, énumérant un objectif visant à accroître le « pushback » sur le commissaire français afin de tenter d'affaiblir le soutien aux plans proposés à Bruxelles. Malgré le fait que ce document n’a absolument rien d'illégal, vu que les entreprises ont bien le droit de défendre leur point de vue, les méthodes conseillées par celui-ci pour contrer la Commission sont tout de même surprenantes : la volonté de recourir aux services de l'État américain comme les bureaux de représentation du commerce ou encore les ambassades, ou encore celle de jouer sur les divisions entre les services à Bruxelles. Le document préconisait par exemple de « mobiliser le USG (le gouvernement américain), et les alliés transatlantiques sur les problématiques de commerce ». Ailleurs, il y était question d' « encourager la DG Comp (abréviation de Directorate General for Competition, la direction générale de la concurrence) » à « déclencher un débat entre les services ».
Thierry Breton, a déclaré à Monsieur Pichai que l'UE avait écouté les commentaires de Google lors des consultations publiques sur les nouvelles réglementations. « Je veux entendre et écouter tout le monde. Vous nous avez envoyé deux documents. Je les ai lus attentivement », a déclaré Breton. En se référant au document qui a fait l'objet d'une fuite, il a déclaré pendant la visioconférence : « C'est une méthode d'un autre siècle. Faire un "push back" contre un régulateur, mobiliser les services de l'État américain, ou encore expliquer que le DSA menace l'alliance transatlantique… Pas avec moi ! »
Pichai a rétorqué qu'il n’avait pris connaissance du document que lorsque celui-ci a été rendu public dans les médias. Il a ajouté : « Je suis désolé que cela se soit passé de cette façon ». Mais il a dit qu'il assumait l'entière responsabilité de la fuite et a ajouté : « Je n'avais pas vu le document, mais j'en prends la responsabilité. Nous sommes une très grande entreprise. Des personnes ont écrit ce document, et ne me l'ont pas montré. Je suis désolé que cela se soit passé de cette manière. Ce n'est certainement pas la façon dont je considère Google ». Pichai a assuré au commissaire qu'il s'engagerait directement avec lui, ajoutant qu'il comprenait qu'il y avait un besoin de réglementation équilibrée, disant que la société serait « directe et transparente ».
Ces révélations apparaissent à un moment particulièrement tendu, car les régulateurs européens doivent présenter des projets de propositions dans les semaines à venir. Le projet de législation marquera deux changements importants. Tout d'abord, Bruxelles définira davantage de responsabilités pour les grandes plateformes quant à la manière dont elles doivent contrôler les contenus illégaux et les produits de contrefaçon dans la loi sur les services numériques. Ensuite, l'UE définira de nouveaux critères pour déterminer ce qui constitue un "gatekeeper" et dressera une liste de ce qui est attendu des grandes plateformes internet, ce qui devrait se traduire par un durcissement des règles pour des entreprises telles que Google et Facebook.
Source : Financial Times
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Le , par Nancy Rey
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