À l’approche des élections présidentielles américaines dans le contexte de la pandémie actuelle, le pays planche sur plusieurs solutions afin de respecter les gestes de barrière lors de l’application de ce devoir citoyen. L’une des solutions envisagées est le vote par correspondance. Mais Donald Trump, l’actuel locataire de la Maison Blanche, n’y est pas favorable. Les principales plaintes de Trump contre le vote par correspondance concernent les doutes sur le fait que la personne dont le nom figure sur le bulletin de vote ait effectivement voté ou non, et que le bulletin ait été falsifié ou non après son envoi.
Pour y répondre, le service postal américain (USPS) propose le principe d’un système qui s’appuie sur la blockchain. Il s’agit d’une technologie qui permet de stocker et transmettre des informations de manière transparente, sécurisée et sans organe central de contrôle. Par extension, c’est une grande base de données qui contient l'historique de tous les échanges réalisés entre ses utilisateurs depuis sa création. La blockchain peut être utilisée, entre autres, pour le transfert d'actifs ou pour une meilleure traçabilité d'actifs et produits. La grande particularité de la technologie est son architecture décentralisée, c'est-à-dire qu'elle n'est pas hébergée par un serveur unique, mais par une partie des utilisateurs.
C’est ainsi que l’USP a déposé auprès de l'USPTO (United States Patent and Trademark Office) une demande de brevet intitulée Secure Voting System qui décrit l'utilisation d'une technologie de blockchain pour sécuriser le vote par correspondance lors des prochaines élections présidentielles de novembre.
Selon l’énoncé, une combinaison de la sécurité de la blockchain et du service de courrier fournit un système de vote fiable. Un électeur inscrit reçoit un code QR par courrier. Une séparation de l'identification des électeurs et des votes pour garantir l'anonymat des électeurs est la principale caractéristique de la solution. Les votes sont stockés sur une blockchain attestée par les responsables électoraux. Évidemment, ce brevet est publié trop tard pour qu’une solution s’appuie dessus et soit déployée pour cette élection.
Le système électoral américain
Aux États-Unis, les élections sont administrées et organisées localement. La machinerie et le processus électoraux sont vraiment décentralisés, il y a environ 9000 bureaux électoraux locaux.
Afin de prévenir la fraude au niveau local, des processus de système électoral et des procédures de sécurité sont en place. Avant que les votes ne soient exprimés, une inscription adéquate des électeurs garantit que tous ceux qui ont le droit de vote sont autorisés à s'inscrire pour voter. Le principe de l'inscription des électeurs lui-même entraîne un certain nombre de frictions dans le processus, car de nombreuses personnes ne prennent même pas la peine de s'inscrire pour voter, ce qui peut affecter les taux de participation. L'enregistrement des électeurs, qui est la manière dont les listes électorales locales sont tenues à jour, a été numérisé grâce à la création de bases de données. Les listes manuscrites et les registres dactylographiés appartiennent désormais au passé.
Les autres éléments du système électoral sont les systèmes de vote, les systèmes de tabulation, les rapports sur les résultats des élections et les systèmes de vérification. L'intégrité du système électoral dépend de l'intégrité de chacun de ces systèmes et de la manière dont ils s'imbriquent.
Les exigences du système électoral sont les suivantes : le vote est anonyme, la coercition devrait être impossible, seuls les électeurs éligibles devraient être autorisés à voter, il devrait être facile de voter, tous les votes légitimes doivent être rapidement compilés pour annoncer les résultats, les vérifications rapides par recomptages devraient être possibles. Certains de ces principes sont opposés, par exemple l'anonymat et le principe selon lequel vous devriez pouvoir vérifier que votre vote a été tabulé. Certains vont de pair, par exemple l'anonymat et la résistance à la coercition.
Les problèmes de la démocratie représentative comprennent les faibles taux de participation et l'influence de la population par la désinformation. Les acteurs étatiques n'ont pas à attaquer le système électoral pour influencer le résultat. La propagation sans friction et incontrôlée de la désinformation par le biais des moyens numériques est une menace majeure.
Technologie et élections
La National Academies Press a publié un rapport de 156 pages intitulé « Sécuriser le vote : Protéger la démocratie américaine », qui a conclu que la technologie blockchain n’est pas suffisamment sûre pour être utilisé par le système électoral américain. « Bien que l'idée d'utiliser une blockchain comme une urne immuable puisse sembler prometteuse, la technologie de la blockchain ne résout guère les problèmes de sécurité fondamentaux des élections et les blockchains introduisent des vulnérabilités de sécurité supplémentaires », indique le rapport.
« En particulier, si un logiciel malveillant sur l’appareil d’un électeur modifie un vote avant qu’il atteigne une blockchain, l’immutabilité de la blockchain ne permet pas d’obtenir l’intégrité souhaitée, et l’électeur peut ne jamais être au courant de cette modification ».
Ils rappellent que la blockchain est décentralisée alors que les élections sont par nature centralisées. Bien que la blockchain puisse être efficace pour des applications décentralisées, les élections publiques sont centralisées (elles requièrent que les administrateurs définissent le contenu des bulletins de vote, identifient la liste des électeurs éligibles et établissent la durée de l’exercice de vote). Ce sont ces administrateurs qui sont responsables de gérer les problèmes relatifs aux bulletins de vote, gérer la tabulation des votes et proclamer les résultats. « Le vote sécurisé nécessite que ces opérations soient effectuées de manière vérifiable et non qu’elles soient effectuées de manière décentralisée ».
Les experts voient également un autre point d’attaque. Par exemple les « mineurs » ou « stakeholder » blockchain (ceux qui ajoutent des éléments à la blockchain) ont un contrôle discrétionnaire sur les éléments qui sont ajoutés. Les mineurs / stakeholder pourraient comploter pour supprimer les votes de certaines populations ou régions. De plus, les protocoles blockchain apportent des résultats issus du consensus des mineurs/stakeholder. Ce consensus pourrait ne pas représenter le consensus du public votant.
Les experts poursuivent en assurant que « la blockchain ne fournit pas l'anonymat qui lui est souvent attribué. Dans le contexte particulier des élections, les électeurs doivent être autorisés à voter et ne pas avoir voté plus d'un scrutin lors d'une élection particulière. La blockchain n'offre pas les moyens de fournir les autorisations nécessaires. La blockchain ne fournit pas le secret du bulletin de vote. Si une blockchain est utilisée, les bulletins doivent être chiffrés ou rendus anonymes pour empêcher la coercition et la vente de votes ».
« Il pourrait être possible d’utiliser la blockchain dans un système électoral en colmatant les failles de sécurités associées à la blockchain en ajoutant des mécanismes supplémentaires (par exemple, ceux fournis par les systèmes de vérifiabilité de bout en bout), mais le crédit pour corriger de tels problèmes sera attribué aux mécanismes supplémentaires et non à l’utilisation de la blockchain ».
Le rapport a été publié en 2018, ces experts n'avaient pas misé sur la pandémie comme une source majeure d'anxiété pour le vote en personne. Les greffiers locaux sont également sous-financés et les agents électoraux vieillissent, plus de 40 % d'entre eux ont plus de 60 ans. Les rouages d'un système électoral sont bien plus que techniques, mais la technologie joue un rôle important.
Il faut garder à l’esprit que les bulletins de vote papier et le vote par correspondance étaient considérés comme « nouvelle technologie » à un moment donné (loin par exemple de l’ostracisme, ce vote par lequel l’assemblée des citoyens dans la Grèce antique prononçait le bannissement de l'un de ses citoyens, dont le nom était inscrit sur un tesson de céramique). En outre, la technologie est intégrée aux systèmes d'inscription des électeurs, à la création et à la diffusion des bulletins de vote, etc.
Le brevet
Comme pour tous les brevets, bien que l’élément principal est l’association du service de courrier à la technologie blockchain et un composant de vote mobile, le brevet proposé par l’USPS tente d'être trop large. À la lecture du brevet, il n'est pas clair si l'identification des électeurs et les bulletins de vote eux-mêmes sont complètement dissociés sans données de liaison pour garantir l'anonymat. Les sauvegardes papier, vérifiables par les électeurs eux-mêmes, sont également une condition de vérification. Le brevet n'indique pas clairement comment cette exigence est remplie.
Selon des commentaires de Paul Madsen, responsable technique de Hedera Hashgraph, concernant la demande de brevet de l’USPS :
« Les blockchains, ou plus généralement les technologies de registre distribué (DLT), ont pour valeur fondamentale de pouvoir fournir à une communauté dont les membres sont potentiellement adversaires une vue fiable et partagée des données sans dépendre d'un seul fournisseur pour contrôler ces données. Pour ce faire, elles permettent d'abord à la communauté de parvenir à un consensus ou à un accord sur l'ordre des transactions qui modifient les données ».
Madsen a expliqué que ces fonctions pourraient être utiles pour enregistrer les votes lors de l'élection, en précisant : « Les deux fonctions pourraient être utiles pour enregistrer les votes lors d'une élection - comme le propose ce brevet de l'USPS. Les votes des électeurs individuels seraient enregistrés, soit sur la blockchain, soit effectivement horodatés puis enregistrés ailleurs - et ainsi, les deux fonctions contribuent à atténuer le risque de double vote ou de manipulation des votes, tout en donnant confiance aux électeurs grâce à la transparence du processus ». Madsen précise toutefois que « les blockchains ne sont pas une solution miracle pour les plateformes de vote », et identifie la vérification de l'identité comme étant l'élément le plus critique, ce qui, selon lui, est également reconnu par le brevet.
Source : demande de brevet
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Le , par Stéphane le calme
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