La Commission irlandaise de protection des données (Data Protection Commissioner - DPC), le régulateur qui supervise les actions de Facebook en Europe, a envoyé au numéro un des réseaux sociaux une injonction préliminaire à la fin du mois dernier pour lui ordonner de cesser d'envoyer des données utilisateur aux États-Unis.
Afin de se conformer à l'ordonnance, Facebook devrait soit réorganiser l'ensemble de ses opérations pour séparer entièrement les données des utilisateurs européens des données collectées ailleurs dans le monde, soit fermer complètement le service européen - au moins temporairement.
Si Facebook ne se conforme pas à l'ordonnance préliminaire, la DPC irlandaise a le pouvoir d'infliger à l'entreprise jusqu'à 4% du chiffre d'affaires mondial, soit près de 3 milliards de dollars, conformément au RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données).
Facebook transfère les données de ses utilisateurs européens vers ses serveurs basés aux États-Unis afin de diffuser des publicités plus ciblées à ces utilisateurs. Interrompre ce processus rendrait plus difficile pour Facebook de gagner autant d'argent qu'avec chaque utilisateur.
Facebook a gagné en moyenne 13,21 $ (11,26 €) par utilisateur européen en 2019. Bien que ce ne soit qu'une fraction de l'argent qu'il gagne des utilisateurs nord-américains (41,41 $, soit environ 35,30 €), c'est beaucoup plus que ce qu'il gagne des utilisateurs ailleurs dans le monde.
L'action de la DPC est la première étape majeure prise par un régulateur européen depuis une décision de justice historique en juillet qui a annulé le Privacy Shield, un mécanisme juridique de transfert de données de l'UE vers les États-Unis. La cour a déclaré que le mécanisme était invalide car les utilisateurs européens n'avaient pas de recours légal pour contester la surveillance du gouvernement américain.
Ce dispositif est utilisé par la quasi-totalité des grandes entreprises américaines pour traiter les données personnelles (identité, comportement en ligne, géolocalisation…) de leurs utilisateurs européens. Très strictement réglementée en Europe, l’utilisation de ces données est moins encadrée aux États-Unis ; pour permettre aux entreprises américaines de les utiliser, le Privacy Shield prévoyait une dérogation, à condition qu’elles s’engagent à respecter certaines mesures.
La réaction de Facebook
Facebook a fait appel de cette décision et menace de fermer ses plateformes Facebook et Instagram s’il n’obtient pas gain de cause.
Dans une déclaration sous serment, Yvonne Cunnane, responsable de la protection des données personnelles chez Facebook Irlande, se demande comment le réseau social pourrait poursuivre ses activités sans avoir le droit de transférer des données personnelles aux Etats-Unis : « il n'est pas clair pour Facebook comment, dans de telles circonstances, il serait possible de continuer à fournir les services Facebook et Instagram en Union Européenne ».
Aussi, elle a estimé que cette décision de la Commission irlandaise de protection des données forcerait l'entreprise à plier bagage et laisserait les 410 millions de personnes qui utilisent Facebook et le service de partage de photos Instagram dans l'embarras.
Facebook a décidé d’intenter une action en justice contre l'interdiction de la DPC irlandaise. Par le biais de Cunnane, la société a porté des accusations très graves contre le commissaire irlandais à la protection des données, évoquant entre autres un manque d'équité et une partialité apparente dans le choix de Facebook.
Cunnane souligne que Facebook n'a eu que trois semaines pour répondre à la décision, un délai qui est « manifestement insuffisant », ajoutant que Facebook n'a pas été contacté au sujet de l'enquête avant que le jugement ne soit rendu.
Elle s’inquiète également de la décision prise «uniquement » par Helen Dixon, la commissaire irlandaise à la protection des données.
« Le fait qu’une personne soit responsable de l’ensemble du processus est pertinent par rapport aux préoccupations de [Facebook], en ce qui concerne l’insuffisance du processus d’enquête engagé et l’indépendance du processus décisionnel final », a écrit Cunnane.
Cunnane se plaint également que Facebook semble être pris pour cible, notant qu'aucune autre grande entreprise de technologie utilisant des méthodes similaires pour transférer des données aux États-Unis depuis l'UE ne fait l'objet du même examen.
« Cela donne lieu à une crainte que [Facebook] ne soit pas traité de la même manière», a écrit Cullinane. « Si [Facebook] seul faisait l'objet d'une enquête et faisait l'objet d'une suspension des transferts de données vers les États-Unis, cela risquerait de créer une grave distorsion de concurrence. »
« Facebook ne menace pas de se retirer d'Europe », a déclaré un porte-parole de Facebook, ajoutant que le dossier du tribunal expose simplement comment « Facebook, et de nombreuses autres entreprises, organisations et services, s'appuient sur les transferts de données entre l'UE et les États-Unis pour exploiter leurs services. »
La semaine dernière, un juge a accepté la demande d’appel de Facebook et a donc lancé des mesures suspensives quant à la décision du DPC irlandais sur le transfert des données en attendant un nouvel avis en appel.
En plus de menacer de fermer complètement Facebook et Instagram, Cunnane souligne également que Facebook est un outil important pour la liberté d'expression de ses 410 millions d'utilisateurs de l'UE et indique qu’il aurait également généré 208 milliards d'euros de ventes pour les entreprises qui utilisent les plateformes.
Ce qu’elle a omis de mentionner, cependant, c’est que le service a également été utilisé comme arme pour semer la désinformation et les théories du complot, ainsi que pour influencer les résultats des votes dans la région, y compris la décision du Royaume-Uni de quitter l’UE notamment via le profilage de Cambridge Analytica.
L’ultimatum de Facebook n’est qu’une menace vide, selon des experts
L'ensemble du modèle commercial de Facebook repose sur la capacité de transférer facilement et rapidement des données à travers le monde afin de mieux cibler les utilisateurs avec des publicités. En perturbant ce flux de données, l'UE menace le potentiel de revenus de Facebook et, comme le montre cette plainte, c'est quelque chose que l'entreprise prend très au sérieux.
Mais l'ultimatum de Facebook n'est guère plus qu'une menace vide, selon les experts en confidentialité.
« L'idée que Facebook se retirerait du marché européen est absurde, je pense que personne ne croit vraiment », Michael Veale, chercheur en politique technologique à l'University College London.
Source : Déclaration sous serment d'Yvonne Cunnane, responsable de la protection des données personnelles chez Facebook Irlande
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Le , par Stéphane le calme
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