Les brevets logiciels constituent-ils un frein aux progrès technologiques ? C'est en tout cas l’avis de la Free Software Foundation (FSF). Selon une note récemment publiée par la fondation en réponse à une initiative de l’USPTO (l'Office des brevets et des marques des États-Unis), les brevets logiciels freinent les progrès, et ce, même dans le domaine de la santé. La FSF estime que les logiciels destinés au domaine de la santé devraient être passibles de brevets et aussi à la portée de tout le monde, car ils sont essentiels pour sauver des vies.
Même si elle ne monopolise plus la totalité de l’actualité comme il y a quelques mois, la lutte contre la pandémie de Covid-19 continue dans les pays du monde entier. À cet effet, toute innovation pouvant permettre de lutter efficacement contre la propagation du virus est la bienvenue dans la communauté et dans certains pays, l’État apporte également son soutien à ce genre d’initiative. C’est le cas aux États-Unis où l’USPTO a annoncé vers la fin du mois de juin un programme pilote d’examen prioritaire Covid-19 en vue de prioriser les demandes de brevets en rapport avec la lutte.
Selon le site officiel de l’USPTO, ce programme pilote a été mis en place pour accorder des demandes d'examen prioritaire aux demandeurs de brevets qui remplissent les conditions requises pour obtenir le statut de petite ou de microentité, sans paiement des taxes habituelles associées à d'autres examens prioritaires. En outre, l'USPTO s'efforcera de prendre une décision définitive sur les demandes dans le cadre de ce programme dans un délai de six mois si les demandeurs répondent rapidement aux communications de l'USPTO.
« Les créateurs indépendants et les petites entreprises font souvent la différence lorsqu'il s'agit d'innovation de pointe et de croissance de notre économie », a déclaré Andrei Iancu, sous-secrétaire au commerce pour la propriété intellectuelle et directeur de l'USPTO. « Ils ont aussi un grand besoin d'assistance dans le cadre de la lutte contre cette pandémie. L'accélération de l'examen des demandes de brevet liées au Covid-19, sans frais supplémentaires, leur permettra de mettre plus rapidement sur le marché des traitements importants et peut-être vitaux », a-t-il ajouté.
Si l’USPTO et son président voient les choses de cette façon, La FSF quant à elle le voit d’une tout autre façon. Elle pense plutôt qu’une telle chose va contribuer à ralentir l’innovation, le contraire de l'objectif. Selon l’analyse qu’en a faite la FSF, grâce à ces changements, il sera plus facile et plus rapide pour les gens d'obtenir des brevets sur toute technologie liée à la pandémie, y compris les brevets logiciels. « Il ne nous appartient pas de déterminer l'impact des autres types de brevets, mais nous savons pertinemment qu'ils sont terribles pour les logiciels », pense la fondation.
« Et à une époque où les logiciels sont essentiels pour sauver des vies, l’accélération des demandes de brevets logiciels ne fera que causer du tort », a-t-elle fait remarquer. Plus précisément, la FSF pense que ce programme n'accélère en aucune façon l'approbation de la FDA (Food and Drug Administration), et n'aide pas à faire parvenir la technologie de sauvetage aux personnes qui en ont le plus besoin. Cette initiative ne crée pas non plus de chaînes d'approvisionnement et enfin, elle n'aide pas à financer le développement de technologies et de logiciels médicaux.
Selon la FSF, tout ce que cela fait, c'est de faciliter l'appropriation de cette technologie par quelqu'un, rendre plus rapide et moins cher le fait d'empêcher les autres de mettre en œuvre et de partager les outils dont les gens ont besoin pour survivre. « Elle accélère le processus de demande de brevet afin que quelqu'un puisse poursuivre d'autres personnes qui tentent de sauver des patients gravement malades dans le monde entier avant que la pandémie mondiale ne soit terminée », insista-t-elle. Et pour étayer ses dires, elle donne l’exemple de la fondation GNOME.
En effet, elle était engagée dans une lutte pareille depuis le début de la pandémie. Le 20 mai 2020, la fondation GNOME a réussi à obtenir une libération et un engagement à ne pas poursuivre l'agresseur de brevet pour tous les logiciels publiés sous une licence libre. Selon la FSF, cela s'apparente à une victoire majeure pour la liberté du logiciel. Mais elle estime que la menace demeure, et la seule raison pour laquelle quelqu'un devrait obtenir son brevet plus tôt est qu'il veut entamer ses poursuites plus tôt.
Plus loin, la FSF a également cité un rapport de l’USPTO dans lequel ce dernier se félicite d'avoir ignoré la Cour suprême des États-Unis afin d'augmenter le nombre de brevets logiciels. En effet, la Cour suprême des États-Unis a limité l'éligibilité au brevet des logiciels mis en œuvre sur un ordinateur à usage général à la suite de l'affaire Alice v. CLS Bank. Cela a augmenté le nombre de demandes de brevets rejetées dans un premier temps. Cependant, l’année passée, l'USPTO a publié des “orientations” qui ont eu pour effet d’affaiblir ces limitations.
Pour résumer, la FSF estime que les brevets logiciels menacent tous les développeurs, en les exposant à des poursuites ruineuses juste pour avoir créé et partagé leur propre code. « Jusqu'au jour où nous pourrons mettre définitivement fin aux brevets logiciels, nous devrions réduire le mal fait, et non proposer des programmes et des conseils pour accélérer les dégâts. Ainsi, créer une voie rapide moins coûteuse et plus facile pour provoquer une nouvelle perturbation des brevets au milieu d'une crise mondiale où des centaines de milliers de personnes sont déjà mortes, où les chaînes d'approvisionnement en technologie médicale sont étirées au-delà de leurs limites, est carrément criminel », a déclaré la FSF.
Pour elle, les brevets logiciels sont un autre type de maladie, et l'USPTO a décidé de devenir un super-diffuseur de cette infection, qui à son tour aggravera les infections physiques. Elle propose de se joindre à elle pour mener une action de riposte.
Sources : Free Software Foundation, L’USPTO
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Le , par Bill Fassinou
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