Le paragraphe I de l'article 1er de la loi déférée prévoit que l'autorité administrative puisse demander aux hébergeurs ou aux éditeurs d'un service de communication en ligne de retirer certains contenus à caractère terroriste ou pédopornographique et, en l'absence de retrait dans un délai de vingt-quatre heures, lui permet de notifier la liste des adresses des contenus incriminés aux fournisseurs d'accès à internet qui doivent alors sans délai en empêcher l'accès. Le paragraphe I de l'article 1er réduit à une heure le délai dont disposent les éditeurs et hébergeurs pour retirer les contenus notifiés par l'autorité administrative et prévoit, en cas de manquement à cette obligation, l'application d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 250 000 euros d'amende.
Les sénateurs requérants font valoir que ces dispositions, adoptées en nouvelle lecture, l'auraient été en méconnaissance de l'article 45 de la Constitution. Ils reprochent ensuite à ce paragraphe, qui aurait pour objet la transposition de la directive du 8 juin 2000 (« directive sur le commerce électronique »), d'être manifestement incompatible avec celle-ci. Ils font également valoir que l'atteinte portée à la liberté d'expression et de communication serait disproportionnée en raison de l'absence de garanties suffisantes.
Le Conseil constitutionnel a noté que : « d'une part, la détermination du caractère illicite des contenus en cause ne repose pas sur leur caractère manifeste. Elle est soumise à la seule appréciation de l'administration. D'autre part, l'engagement d'un recours contre la demande de retrait n'est pas suspensif et le délai d'une heure laissé à l'éditeur ou l'hébergeur pour retirer ou rendre inaccessible le contenu visé ne lui permet pas d'obtenir une décision du juge avant d'être contraint de le retirer ».
Aussi, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition-phare du texte, l’obligation faite aux réseaux sociaux de supprimer dans le délai d’une heure, sous peine de sanctions pénales, les contenus « haineux » qui leur sont signalés. Le Conseil estime que « dès lors, le législateur a porté à la liberté d'expression et de communication une atteinte qui n'est pas adaptée, nécessaire et proportionnée au but poursuivi. Par conséquent, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, le paragraphe I de l'article 1er de la loi est contraire à la Constitution ».
En ce qui concerne le paragraphe II, dans son article 1er, il impose à certains opérateurs de plateforme en ligne, sous peine de sanction pénale, de retirer ou de rendre inaccessibles dans un délai de vingt-quatre heures des contenus illicites en raison de leur caractère haineux ou sexuel.
En adoptant ces dispositions, le législateur a voulu prévenir la commission d'actes troublant gravement l'ordre public et éviter la diffusion de propos faisant l'éloge de tels actes. Il a ainsi entendu faire cesser des abus de l'exercice de la liberté d'expression qui portent atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers.
Cependant, la Commission note :
- En premier lieu, l'obligation de retrait s'impose à l'opérateur dès lors qu'une personne lui a signalé un contenu illicite en précisant son identité, la localisation de ce contenu et les motifs légaux pour lesquels il est manifestement illicite. Elle n'est pas subordonnée à l'intervention préalable d'un juge ni soumise à aucune autre condition. Il appartient donc à l'opérateur d'examiner tous les contenus qui lui sont signalés, aussi nombreux soient-ils, afin de ne pas risquer d'être sanctionné pénalement.
- En deuxième lieu, s'il appartient aux opérateurs de plateforme en ligne de ne retirer que les contenus manifestement illicites, le législateur a retenu de multiples qualifications pénales justifiant le retrait de ces contenus. En outre, son examen ne doit pas se limiter au motif indiqué dans le signalement. Il revient en conséquence à l'opérateur d'examiner les contenus signalés au regard de l'ensemble de ces infractions, alors même que les éléments constitutifs de certaines d'entre elles peuvent présenter une technicité juridique ou, s'agissant notamment de délits de presse, appeler une appréciation au regard du contexte d'énonciation ou de diffusion des contenus en cause.
- En troisième lieu, le législateur a contraint les opérateurs de plateforme en ligne à remplir leur obligation de retrait dans un délai de vingt-quatre heures. Or, compte tenu des difficultés précitées d'appréciation du caractère manifeste de l'illicéité des contenus signalés et du risque de signalements nombreux, le cas échéant infondés, un tel délai est particulièrement bref.
- En quatrième lieu, s'il résulte des travaux parlementaires que le législateur a entendu prévoir au dernier alinéa du paragraphe I du nouvel article 6-2 une cause exonératoire de responsabilité pour les opérateurs de plateforme en ligne, celle-ci, selon laquelle « Le caractère intentionnel de l'infraction … peut résulter de l'absence d'examen proportionné et nécessaire du contenu notifié » n'est pas rédigée en des termes permettant d'en déterminer la portée. Aucune autre cause d'exonération de responsabilité spécifique n'est prévue, tenant par exemple à une multiplicité de signalements dans un même temps.
- En dernier lieu, le fait de ne pas respecter l'obligation de retirer ou de rendre inaccessibles des contenus manifestement illicites est puni de 250 000 euros d'amende. En outre, la sanction pénale est encourue pour chaque défaut de retrait et non en considération de leur répétition.
Elle conclut à une atteinte à la liberté d’expression et de communication : « Il résulte de ce qui précède que, compte tenu des difficultés d'appréciation du caractère manifestement illicite des contenus signalés dans le délai imparti, de la peine encourue dès le premier manquement et de l'absence de cause spécifique d'exonération de responsabilité, les dispositions contestées ne peuvent qu'inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu'ils soient ou non manifestement illicites. Elles portent donc une atteinte à l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. Dès lors, sans qu'il soit d'examiner les autres griefs, le paragraphe II de l'article 1er est contraire à la Constitution. »
La décision contre l’obligation de retrait en vingt-quatre heures est un revers pour les défenseurs de la loi. « C’est le cœur du texte », affirmait Laetitia Avia, pour justifier, en mai 2019, le maintien de cette disposition déjà controversée.
Bruno Retailleau, le président du groupe Les Républicains au Sénat, s’est réjoui de cette décision
Source : Conseil Constitutionnel
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