Le ministère américain de la Justice a révélé mercredi dernier des propositions visant à affaiblir les protections juridiques des plateformes en ligne, ajoutant une pression supplémentaire sur les grandes entreprises technologiques. Les mesures préconisent de revenir sur les immunités offertes aux sites web sur le contenu publié par leurs utilisateurs par l'article 230 de la Communications Decency Act (CDA), un texte de loi adopté en 1996 lorsque l'internet en était encore à ses débuts, qui protège largement les entreprises de toute responsabilité vis-à-vis des publications des utilisateurs.
Bien que toute action nécessiterait une action du Congrès, les propositions du ministère de la Justice ont ouvert une voie pour affaiblir la section 230. Il s'agit notamment de forcer les plateformes en ligne telles que Facebook, Twitter et Google à se justifier au cas où elles suppriment le contenu des utilisateurs(si elles souhaitent conserver l'immunité) et de supprimer le texte de loi qui permet aux sites web de modérer les contenus "choquants".
« Ces réformes visent les plateformes afin de s'assurer qu'elles traitent de manière appropriée les contenus illégaux tout en continuant à préserver un internet dynamique, ouvert et compétitif. Prises ensemble, elles garantiront que l'immunité de la section 230 incite les plateformes en ligne à être des acteurs responsables », a déclaré William Barr, le procureur général des États-Unis, dans un communiqué.
Le ministère de la Justice a proposé des exclusions qui ciblent les « véritables mauvais acteurs » dont les plateformes facilitent intentionnellement les activités illégales, ainsi que la levée de l'immunité pour les contenus de tiers liés au cyberharcèlement, au terrorisme, aux drogues illicites et à l'exploitation des enfants. Il a également déclaré que les plateformes en ligne ne devraient pas être protégées des poursuites civiles des gouvernements ou de la responsabilité antitrust en vertu de l'article 230.
Ces propositions ont suscité des réactions négatives de la part des plateformes Internet. Peu avant leur publication, Nick Clegg, responsable de la politique mondiale et de la communication de Facebook, a déclaré : « les changements apportés à l'article 230 auraient pour conséquence que des plateformes telles que Facebook devraient retirer beaucoup, beaucoup plus de contenu que ce n'est le cas actuellement d'une manière qui, je pense, mettra beaucoup de gens mal à l'aise ».
L'article 230 a initialement été adopté dans le cadre de la loi sur la décence en matière de communication, afin de protéger les sites web contre les poursuites judiciaires concernant le contenu que leurs utilisateurs ont publié. Il a été adopté pour encourager les sites web à s'engager dans la modération de contenu en supprimant le risque qu'ils puissent être poursuivis en tant qu'éditeur s'ils contrôlaient activement ce que leurs utilisateurs publiaient.
Plus récemment, la loi a été attaquée par Donald Trump et les républicains qui se plaignent que les géants de la technologie tels que Facebook, Twitter et Google censurent leurs opinions. Une partie des propositions du ministère de la Justice a abordé cette question litigieuse, en faisant valoir que l'article 230 devrait inclure une définition de la conduite "de bonne foi" des plateformes.
Cela « limiterait l'immunité pour les décisions de modération de contenu à celles prises conformément à des conditions de service claires et particulières, accompagnées d'une explication raisonnable, à moins qu'un tel avis n'entrave l'application de la loi ou ne risque de causer un préjudice imminent à autrui. La clarification de la signification du terme "bonne foi" devrait encourager les plateformes à être plus transparentes et responsables envers leurs utilisateurs, plutôt que de se cacher derrière les protections générales de l'article 230 », selon les propositions.
Cette norme de "bonne foi" serait accompagnée de la suppression du libellé de l'article 230 qui donne aux plateformes une immunité lorsqu'elles modèrent un contenu qu'elles estiment "autrement répréhensible", ce qui donne aux entreprises un pouvoir discrétionnaire important. En lieu et place, cette phrase sera remplacée par "illégal" et "promeut le terrorisme" dans les propositions du ministère de la Justice.
Le ministère de la Justice s'est également attaqué aux plateformes qui fournissent un chiffrement robuste qui rend impossible pour le fournisseur de services de modérer le contenu, comme WhatsApp de Facebook.
Pour être protégée par l'article 230, « une plateforme internet doit respecter la sécurité publique en assurant sa capacité à identifier les contenus ou activités illicites se produisant sur ses services », a déclaré le ministère de la Justice. Ce dernier veut également exiger des entreprises qu'elles « conservent la capacité d'aider les autorités gouvernementales à obtenir du contenu ».
Le mois dernier, Donald Trump a publié un décret exigeant une vaste révision de l'article 230 par le gouvernement, après que Twitter avait mis des avertissements et des avis de vérification des faits sur plusieurs de ses tweets. Facebook, en particulier, a dû faire face à des appels pour contrôler plus étroitement le contenu après avoir refusé de placer des avertissements sur les mêmes messages de Trump sur leur plateforme.
« L'administration Trump a déclaré que nous avons censuré trop de contenu, les démocrates et les groupes de défense des droits civils disent que nous n'en retirons pas assez. L'article 230 nous permet de nous concentrer sur ce qui compte le plus : lutter contre les contenus préjudiciables tout en protégeant le discours politique », a déclaré Facebook.
Un obstacle potentiel à toute révision de l’article 230, qui a reçu par le passé un soutien bipartite, est son inclusion dans les accords commerciaux américains, y compris le récent Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM).
Josh Hawley, un sénateur républicain du Missouri qui a critiqué les grandes entreprises technologiques, a présenté mercredi un projet de loi du Sénat qui supprimerait l'immunité de l'article 230 pour les grandes entreprises, à moins qu'elles ne s'engagent contractuellement à un devoir de bonne foi. Le projet de loi permettrait aux utilisateurs de réclamer 5000 dollars de dommages et intérêts, ou plus si les dommages réels sont plus élevés, si une plateforme les discrimine dans l'application de leurs conditions de service.
Le projet de loi qui est soutenu par trois autres sénateurs républicains (Marco Rubio, Mike Braun et Tom Cotton), ne s'appliquerait qu'aux sites web comptant plus de 30 millions d'utilisateurs aux États-Unis, ou 300 millions dans le monde entier, et dont le chiffre d'affaires global dépasse 1,5 milliard de dollars.
Dans une déclaration antérieure aux propositions du département de la justice, Twitter a qualifié le décret de Trump « d'approche réactionnaire et politisée d'une loi historique », ajoutant que « les tentatives d'érosion unilatérale de l'article 230 menacent l'avenir de la liberté d'expression en ligne et d’internet ».
Sources : Reuters, US Department of Justice
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L'administration Trump propose de réduire les protections juridiques pour les grandes entreprises technologiques
Via un projet de loi visant à réviser l'immunité offerte par l'article 230 de la CDA
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Via un projet de loi visant à réviser l'immunité offerte par l'article 230 de la CDA
Le , par Nancy Rey
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