Même si chacun s’accorde sur la nécessité de disposer d’un outil de souveraineté numérique français ou plus largement à l’échelle européenne, il faut signaler que depuis qu’elle existe (9 ans), la startup française peine à réaliser un chiffre d’affaires au-delà des 5 millions d’euros. Les pertes se multiplient pour l’entreprise qui jamais n’a réussi à atteindre les objectifs fixés. En 2017, son activité n’aura généré que 3 millions d’euros, puis cinq millions d’euros un an après. L'année dernière, le chiffre d’affaires de l’entreprise s'est situé aux alentours des 7 millions d’euros, alors que Qwant tablait sur 15 millions d’euros. De plus, malgré un chiffre d’affaires bas, Qwant a une charge salariale importante - avec un niveau de rémunération apparemment trop élevé - et la crédibilité du groupe a pris un coup depuis qu’on sait qu’il dépend énormément de Microsoft Bing. Les coûts ayant augmenté, le moteur de recherche perdait plus d’un million d’euros par mois, sans perspective de basculer vers un modèle bénéficiaire.
La semaine dernière, Qwant a annoncé aux salariés un vaste plan de réorganisation pour se recentrer sur son cœur de métier. D'après les informations obtenues par nos confrères chez France Info, cette restructuration menacerait de fermeture le bureau d'Ajaccio (Corse-du-Sud), dont les douze salariés s'occupent du service Qwant Music, ainsi que celui d'Épinal (Vosges), racheté en 2017 à l'entreprise Xilopix qui a vu son nombre de salariés être réduit progressivement malgré les promesses de recrutements. Il faut également compter sur la suppression de postes au siège parisien. En tout, Qwant va se séparer d’une trentaine de personnes sur les 120 que compte son équipe.
France Info précise tout de même avoir consulté des documents internes qui indiquent que 16 postes seraient créés dans le même temps, principalement pour renforcer les équipes de développement à Nice (Alpes-Maritimes).
Jean-Claude Ghinozzi, qui a repris la tête de l’entreprise en lieu et place d’Éric Léandri, n’a pas souhaité répondre aux sollicitations des journalistes. S’il reconnait que Qwant a « bien conscience que nous n’avons pas toujours été ces dernières années à la hauteur des attentes suscitées ou des promesses faites », il note que : « Nous sommes aujourd’hui chez QWANT à la tâche et nous nous consacrons pleinement au projet core « Qwant search » en améliorant encore et encore nos services et notre plateforme technologique.
La mise en œuvre de cette stratégie toute tournée vers notre moteur de recherche, l’enrichissement de son écosystème et la monétisation de ses services, nécessite des changements d’organisation et une affectation de nos ressources humaines et financières différentes. C'est pourquoi des discussions sont engagées avec les représentants du personnel portant sur la réorganisation des activités du groupe Qwant. »
Une stratégie pour réduire au plus vite la dépendance à Bing ?
Une note datée du mois d'août 2019 suite à un audit d’une journée chez Qwant, en vue de son installation sur les ordinateurs de l’administration publique, a été rédigée les agents de la Direction interministérielle du numérique (DINUM), de l’ANSSI (l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information), du ministère des Armées et de l’École normale supérieure. Ceux-ci ont noté entre autres que Qwant ne marche pas, ou mal ; ses résultats sont tirés principalement du moteur de recherche Bing, de Microsoft ; ils sont souvent datés, peu fiables, peu pertinents, limités en nombre.
La DINUM a évoqué plusieurs limitations dont souffre le moteur de recherche, à savoir : « une difficulté à passer à l’échelle, notamment en termes de nombre de pages web traitées ; une difficulté à gérer un rafraîchissement fréquent des pages web déjà visitées pour en capturer les modifications ; une impossibilité d’utiliser l’index en temps réel pour les recherches des utilisateurs ».
La dépendance de Qwant à Bing et de manière générale la performance de l’index de Qwant dérangent la DINUM. Elle ne peut pas « exclure un scénario dans lequel l’essentiel des réponses viendrait in fine de Bing ». Les incohérences découvertes par les auditeurs les laissent en effet penser à une probable « situation dans laquelle les résultats de recherche [de Qwant] soient composés quasi exclusivement de résultats Bing depuis plusieurs mois ». Une conclusion assez déconcertante pour un moteur de recherche qui se dit « souverain ».
Ils ont alors recommandé la signature de la note généralisant l’installation par défaut de Qwant au sein de l’administration à trois conditions :
- une vérification dans les locaux de Qwant des affirmations de remise en place de l’indexeur et de la mesure de 60 % de dépendance à Bing, ainsi qu’une vérification de la méthode de calcul de cette dépendance ;
- la transmission quotidienne à la DINSIC du taux de dépendance à Bing ;
- l’acceptation d’une clause de revoyure lors de la mise en place de la version 2 du moteur aux environs de janvier 2020 accompagnée par un nouvel audit.
Ce nouvel audit a eu lieu en mai 2020 avec une seconde version du moteur qui est encore « à l’état de prototype ».
Les auditeurs ont reconnu à Qwant sa capacité à préserver la vie privée des utilisateurs, mais ont rappelé que « d'autres moteurs de recherche pourraient revendiquer la satisfaction du premier critère de respect de la vie privée ». Et eux ne bénéficient pas de fonds publics.
Source : France Info