Présentée en mars 2019, la loi proposée par Laetitia Avia pour lutter contre les contenus haineux en ligne a finalement été adoptée par l'Assemblée nationale, et ce, de manière définitive ce mercredi 13 mai.
Comme le prévoit la loi, à partir du 1er juillet, les grands opérateurs de plateforme auront l'obligation de retirer les contenus « manifestement illicites » dans un délai de 24 heures après en avoir été notifiés. Il s'agit notamment des plateformes dont l’activité consiste à mettre en relation plusieurs personnes en vue du partage de contenus ou à référencer ces contenus, c'est-à-dire notamment Facebook, Twitter et YouTube.
En ce qui concerne les contenus ciblés, ce sont ceux qui font l’apologie de certains crimes, incitant à la discrimination, à la haine ou à la violence ou niant les crimes contre l’humanité. Sont aussi sous le coup de la loi les injures aggravées, le harcèlement sexuel, les contenus pédopornographiques ainsi que la provocation au terrorisme ou son apologie. Précisons que le retrait devra se faire dans l'heure pour les contenus à caractère terroriste et pédopornographique, s'ils sont notifiés aux plateformes par les autorités publiques.
« Lorsque l’opérateur faisant l’objet de la mise en demeure ne se conforme pas à celle-ci, le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut [...] prononcer une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu'à 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent, le montant le plus élevé étant retenu », lit-on dans le texte adopté par 355 voix pour, 150 contre et 47 abstentions. Le montant devra prendre en considération la gravité des manquements ainsi que, le cas échéant, leur caractère réitéré.
Le texte vise aussi à simplifier le processus de notification de sorte qu'il soit facile de signaler des contenus illicites. Cela implique, sans s'y limiter, que les informations demandées au notifiant se limitent à celles strictement nécessaires à son identification, à la détermination de la catégorie du contenu litigieux et à sa localisation.
Un recours au Conseil constitutionnel
Les sénateurs LR, emmenés par Bruno Retailleau, ont annoncé ce lundi 18 mai le dépôt de leur recours au Conseil constitutionnel contre la proposition de loi contre la haine en ligne, au nom de la défense de la « liberté d’expression ». Les Sénateurs requérants demandent au Conseil constitutionnel d’examiner et de déclarer contraires à la Constitution la loi déférée,et en particulier ses articles 1er, 4, 5, 7 et 8ainsi que les dispositions qui n’en seraient pas détachables.
Ils ont évoqué une violation manifeste de la directive « e-commerce »
Ils ont rappelé que, comme l’a relevé la Commission européenne dans ses observations adressées à la France, la loi déférée est manifestement incompatible avec plusieurs dispositions de la directive qu’elle a pour objet de transposer.
Violation manifeste du principe du «pays d’origine» (article3 de la directive)
La libre prestation des services est un principe du droit primaire de l’Union européenne, dont l’application aux services de la société de l’information est précisée par la directive «e-commerce ». À ce titre, les États membres ne peuvent normalement pas restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre, puisque c’est à ce dernier de veiller à ce que les prestataires établis sur son territoire respectent les dispositions relevant du domaine coordonné par la directive « e-commerce »(principe dit du « pays d’origine »4).
Une restriction à la libre prestation transfrontalière des services de la société de l’information est donc prohibée (article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive), sauf si la restriction est ponctuelle et remplit, par exception,certaines conditions procédurales et matérielles (article 3, paragraphe 4).
Or, d’une part, la loi déférée a vocation à s’appliquer aux plateformes en ligne «dont l’activité sur le territoire français dépasse des seuils déterminés par décret» : sa portée territoriale s’étend donc bien naturellement aux plateformes en ligne établies dans d’autres États membres. À cet égard, il ressort des travaux préparatoires que la majorité des opérateurs de plateformes susceptibles d’entrer dans le champ des dispositions du texte sont établis hors de France au sein de l’Union européenne (en Irlande pour les réseaux sociaux Facebook et Twitter, comme pour le moteur de recherche Google).
D’autre part, la loi déférée impose des obligations nouvelles et rigoureuses à ces plateformes en ligne (son article 1ercrée une obligation de suppression rapide de certains contenus,pénalement sanctionnée par une amende pour chaque manquement;ses articles 4, 5, 7 instaurent des obligations de moyens dont la méconnaissance expose à une sanction administrative pécuniaire pouvant être portée jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial). Ses dispositions emportent donc nécessairement une restriction de la libre prestation transfrontalière des services.
Violation manifeste du principe de responsabilité adaptée des hébergeurs (articles 14 et 15 de la directive)
Afin d’éviter que l’engagement trop systématique de leur responsabilité pénale ou civile ne soit un frein à leur développement économique ou à la libre expression sur internet, les articles 14 et 15 de la directive « e-commerce » font bénéficier les hébergeurs d’un aménagement de responsabilité à raison des contenus à la diffusion desquels ils contribuent. Celle-ci ne peut ainsi être engagée en l’absence de connaissance de l’illicéité des contenus stockés ou, en cas de connaissance de l’illicéité « manifeste » des contenus stockés, s’ils ont procédé « promptement » à leur retrait.
L’article 6 de la LCEN transpose ces exigences. Il organise un système de notification formelle permettant d’établir une présomption de connaissance de ces contenus par les hébergeurs, et écarte la responsabilité de ceux qui ont « agi promptement » pour supprimer les contenus manifestement illicites. L’appréciation de ce délai est ainsi laissée au contrôle du juge en cas de litige : au cas par cas, et en fonction de contraintes extérieures (nombre de notifications simultanées, problèmes techniques...) ou de la difficulté intrinsèque d’évaluation du caractère illicite du contenu (contexte, citation, réappropriation, parodie...)
Le régime renforcé de responsabilité des intermédiaires techniques instauré par la loi déférée est sensiblement plus rigoureux que celui actuellement prévu par la LCEN, qu’il vient ainsi durcir et compléter uniquement pour certains hébergeurs (les grands réseaux sociaux et moteurs de recherche).
Les parlementaires s’interrogent en outre sur les pouvoirs donnés au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui devra veiller au respect du devoir de coopération des opérateurs, avec des sanctions à la clé : « La loi renforce considérablement le pouvoir de sanction du Conseil supérieur de l’audiovisuel ». Il pourra prononcer une amende jusqu’à 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent. Inspirées du RGPD, elles frapperont les plateformes qui n’auront su répondre aux obligations imposées par la loi Avia.
Pour les sénateurs, toutefois, « en raison de la portée extraterritoriale du texte déféré, un opérateur pourrait être visé dans différentes juridictions par plusieurs sanctions calculées sur la même base du chiffre d’affaires mondial ».
Selon les sénateurs de droite, « l’instauration d’un nouveau délit en cas de non-retrait des "contenus illicites" va conduire à une autocensure qui porte atteinte aux articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». Et de continuer en disant « Alors qu’il existe dans notre droit de nombreux textes réprimant les messages de haine, la loi Avia, en exigeant que les opérateurs de plateforme apprécient eux-mêmes le caractère manifestement illicite des messages, ouvre la porte à une censure privée, basée sur de simples accusations ou de simples suspicions ».
Outre LR, extrême gauche et extrême droite se sont prononcés contre ce texte au Parlement. Il a suscité de nombreuses réserves, notamment du Conseil national du numérique, de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, ou encore de la Quadrature du Net, qui défend les libertés individuelles dans le monde du numérique.
D'autres critiques pourraient être adressées par les mêmes auteurs dans les jours à venir. Le Conseil constitutionnel rendra sa décision au plus tard dans un mois.
Source : saisine
Loi contre la haine en ligne : des sénateurs se saisissent du Conseil constitutionnel
Craignant l'autocensure qui pourrait résulter de l'instauration du non-retrait comme nouveau délit
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Le , par Stéphane le calme
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