Au bout de trois lettres, l’abonné peut alors être « renvoyé » devant le procureur de la République. Celui-ci décide alors de l’opportunité des poursuites. S’il décide de transmettre au tribunal de police, notre abonné si mal sécurisé encourt jusqu’à 1500 euros d’amende. Théoriquement, puisque jamais un tel montant n’a été décidé.
En somme, si la Hadopi, née avec la loi de 2009, arrive à distribuer des millions d’avertissements (elle a dépassé les 10 millions en 2017, depuis sa création), la justice n’arrive pas à suivre et c’est ce que regrettent Aurore Bergé et Sophie Mette (MoDem) :
« La procédure de réponse graduée mise en œuvre par l’Hadopi est un dispositif à vocation pédagogique et dissuasive consistant à avertir l’internaute, dont l’accès Internet a été le support à des échanges en pair à pair de contenus culturels en méconnaissance du droit d’auteur, que la pratique de tels échanges est constitutive d’une infraction, pénalement sanctionnée, et qu’il lui revient la responsabilité de sécuriser son accès Internet afin qu’il soit mis fin à ces échanges. Si, malgré plusieurs avertissements, il est constaté que la pratique incriminée perdure, l’Hadopi ne peut que signaler la situation au procureur de la République. S’ouvre alors une phase relevant de la seule institution judiciaire, le procureur appréciant l’opportunité d’exercer des poursuites à l’égard du contrevenant et de le soumettre à une sanction pénale.
« La phase pédagogique déployée par l’Hadopi a montré sa pleine efficacité: elle a contribué à faire diminuer de moitié les pratiques de piratage en pair à pair depuis sa mise en place. Une étude récemment conduite par l’Ifop pour l’Hadopi montre que 63 % des abonnés qui ont reçu une recommandation ont diminué leurs pratiques illicites.
« En revanche, la phase judiciaire qui intervient quand la pédagogie n’a aucun effet sur ces pratiques illicites, a montré ses limites : dans plus 85 % des cas, le contrevenant n’est condamné à aucune sanction.
« Ainsi, malgré les efforts déployés, environ 3 millions d’internautes continuent d’utiliser les services pair-à-pair tous les mois pour pirater des œuvres protégées. En outre, on observe que lorsque des sites illégaux importants de streaming ou de téléchargement direct sont bloqués à l’issue de procédures judiciaires, une part importante de leurs utilisateurs se reportent vers le pair à pair. Dans la perspective, recherchée par le projet de loi, de renforcer significativement les actions de lutte contre le streaming et le téléchargement direct, il est donc plus indispensable encore de mettre en place une solution renforçant l’efficacité de la procédure de réponse graduée ».
Une amende transactionnelle dans la riposte graduée rejetée par le ministre de la Culture
Pour contourner le goulot d’étranglement de la phase judiciaire, deux moyens : augmenter drastiquement le budget de la justice ou contourner cette phase. C’est la deuxième option qui est choisie dans le projet de loi : introduire une amende pénale au dernier stade de la riposte graduée. Une amende un peu particulière puisqu’elle serait transactionnelle.
« Une étude juridique menée par deux membres du Conseil d’État a montré que des solutions alternatives à la mise en œuvre de la procédure judiciaire actuelle pourraient être utilement mises en place. En particulier, le recours à la transaction pénale, dont dispose le Défenseur des Droits, présente toutes les garanties juridiques nécessaires pour être mis en place par une autorité publique indépendante. Dans ce dispositif, l’ARCOM aurait la possibilité, en cas d’échec de la phase pédagogique de la procédure de réponse graduée, de proposer au contrevenant le paiement d’une amende transactionnelle, inférieure au tiers du montant de la peine maximale aujourd’hui encourue, pour éteindre l’action publique (soit 350€ maximum contre 1500 € maximum actuellement). Le faible montant du plafond de cette amende se justifie par le fait que cette transaction sera avant tout dissuasive par sa rapidité et son efficacité ».
Mais le ministre de la Culture, Franck Riester, s’est opposé à une telle mesure. En commission des affaires culturelles, il a d’abord reconnu la nécessité de renforcer la lutte contre le piratage : « c’est ce que fait ce texte en donnant des pouvoirs nouveaux importants à l’ARCOM en matière de lutte contre les sites contrefaisants. D’autre part en fusionnant la HADOPI et le CSA le gouvernement propose de pérenniser les missions de la HADOPI au sein d’une autorité administrative renforcée ».
Toutefois, concernant la transaction pénale, il a indiqué que « le gouvernement ne souhaite pas modifier l’équilibre de la réponse graduée aujourd’hui qui est un outil au service de la prévention et de la pédagogie, certes qui à l’issue de la réponse graduée peut conduire à une action judiciaire, mais sous l’autorité d’un juge. Nous ne souhaitons pas aller plus loin dans la sanction des internautes dans cette partie du dispositif de lutte contre le piratage qu’est la réponse graduée ».
Une nouvelle tentative
Cette fois-ci, Constance Le Grip et neuf autres députés LR ont déposé une proposition de loi « visant à renforcer les instruments de lutte contre le piratage des œuvres protégées par le droit d’auteur et instituant un dispositif de transaction pénale ».
Dans son essence, le texte prévoit que dès lors que les membres de l’organisme chargé d’exercer la mission de protection des œuvres et des objets protégés (pour le moment la Hadopi) constatent des faits constitutifs d’une négligence caractérisée, ils peuvent, si ces faits n’ont pas déjà donné lieu à la mise en mouvement de l’action publique, proposer à l’auteur des faits une transaction consistant dans le versement d’une amende transactionnelle dont le montant ne peut excéder 500 € s’il s’agit d’une personne physique et 2500 € s’il s’agit d’une personne morale.
Le montant de l’amende est fixé en fonction de la gravité des faits ainsi que des ressources et des charges de l’auteur des faits. La transaction, proposée par le ou les membres de l’organisme chargé, par le présent titre, d’exercer la mission de protection des œuvres et des objets protégés, et acceptée par l’auteur des faits, doit être homologuée par le procureur de la République. La personne à qui est proposée une transaction est informée qu’elle peut se faire assister par un avocat avant de donner son accord à la proposition.
Cette procédure permettrait alors d’éteindre l’action publique, mais non l’action civile : les ayants droit pourraient donc toujours engager des poursuites pour obtenir réparation. Mais la transaction peut être refusée et l’action publique pourrait poursuivre son chemin, via cette fois la citation directe. Et donc directement devant le tribunal de police, sans le filtre du procureur de la République.
Selon les signataires du texte, ce dispositif permettrait de :
- sur la base d’une forme d’adhésion à la sanction de la part du contrevenant acceptant de rentrer dans la logique transactionnelle, de comporter une réponse sanctionnatrice plus systématique ;
- de crédibiliser ainsi la phase pédagogique initiale d’avertissements et de renforcer son effet dissuasif ;
- de décharger l’autorité judiciaire d’une part de ce contentieux pénal que les parquets peinent en l’état à traiter, la saisine du tribunal de police par l’organisme chargé de la mission de protection des œuvres et des objets protégés par voie de citation directe en cas de refus de la transaction par le contrevenant ne devant intervenir que marginalement, compte tenu de l’intérêt de ce dernier à privilégier le paiement d’une amende d’un faible montant plutôt que d’encourir devant le juge pénal une sanction pécuniaire plus sévère.
Source : assemblée nationale
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