C’est de façon brossée l’avis de Karen Morenz – étudiante au doctorat en chimie de l’université de Toronto – sur la question de savoir pourquoi les femmes abandonnent les STIM (Sciences, Technologies, Ingénierie et Mathématiques). À un moment donné de leur carrière, souligne-t-elle, elles font face au dilemme du choix entre une vie de famille épanouie et leur carrière professionnelle. C’est le tournant où il faut prendre en compte les contraintes de « l’horloge biologique » pour emprunter à son jargon…
Si l’on a souvent pointé le sexisme comme l’une des raisons principales de l’abandon de la filière STIM par les femmes, Karen Morenz est d’avis qu’il s’agit d’un argument qui, à lui seul, ne peut expliquer cette situation.
« On croit généralement que le sexisme est le problème principal. Une recherche rapide à ce sujet sur Google vous retournera une quantité importante d'articles. En effet, d'après une étude de 2016 par le Dr Rachael Robnett, environ 60 % des femmes déclarent avoir été victimes d'une forme de sexisme. Et pourtant, si vous demandez à des universitaires de premier plan comme la lauréate du prix Nobel de physique 2018, la professeure Donna Strickland ou la titulaire de la Chaire de recherche du Canada en matériaux fonctionnels avancés (chimie), la professeure Eugenia Kumacheva, elles vous diront que le sexisme n'a pas été un obstacle à leur carrière. De plus, des recherches approfondies ont montré que le sexisme a globalement diminué depuis que les professeurs Strickland et Kumacheva (par exemple) ont commencé leur carrière. Fait encore plus intéressant, le Dr Rachael Robnett a montré que les domaines comme la physique qui font plus appel à des aptitudes en mathématiques exhibent plus de sexisme que ceux comme la chimie qui font moins appel à des aptitudes en maths – un constat qui sonne juste avec l'expérience subjective de nombreuses femmes que je connais en chimie et en physique. Cependant, les femmes quittent le domaine de la chimie dans de plus grandes proportions après leur baccalauréat qu'elles ne quittent la physique. De plus, bien que 22 % des femmes déclarent avoir été victimes de harcèlement sexuel au travail, la proportion est la même dans les STIM et les autres carrières et pourtant les femmes quittent les carrières dans les STIM à un taux beaucoup plus élevé que dans les autres carrières », précise-t-elle.
Quel est la cause profonde de l’abandon de la filière STIM par les femmes ?
Karen Morenz cite la nécessité de trouver un équilibre entre responsabilités professionnelles et familiales comme argument mis en avant par ces femmes. D’après des statistiques 2018 rapportées par l’universitaire, les départs interviennent dans l’intervalle 30-35 ans ; les concernées entament à peine leur carrière universitaire nanties de leur doctorat, mais « l’horloge biologique » sonne déjà avec acuité. En effet, c’est dans cet intervalle que l’on se met à noter une baisse importante de la fertilité de la femme. C’est aussi celle où les risques liés aux grossesses commencent à devenir plus importants. Chez les hommes, note-t-elle, l’on relève que la baisse de fertilité frappe à la porte autour de 45 ans.
« À ce stade, je dois m'assurer de ce que vous êtes au fait des notions de base en matière de biologie de la reproduction féminine. Selon Wikipédia, à l'âge de 25 ans, le risque de concevoir un bébé avec des anomalies chromosomiques (y compris le syndrome de Down) est de 1 sur environ 1400. À 35 ans, ce risque est plus que quadruplé, soit 1 sur 340. À 30 ans, l'on a encore 75 % de chances d’accoucher dans de bonnes conditions dans l’année qui suit , mais à 35 ans, ce taux chute à 66 % et à 40 ans, il est tombé à 44 %. Entre-temps, 87 à 94 % des femmes signalent au moins un problème de santé immédiatement après la naissance, et 1,5 % des mères ont un problème de santé grave, tandis que 31 % ont des problèmes de santé persistants à long terme à la suite de la grossesse. De plus, les femmes de plus de 35 ans sont plus concernées par les risques de complications du type accouchement prématuré, hypertension, prééclampsie superposée, prééclampsie grave. En raison de ces facteurs, les grossesses chez les femmes de plus de 35 ans sont connues sous le nom de " grossesses gériatriques " en raison du risque considérablement accru de complications. Ce délai serré pour les naissances est souvent appelé " l'horloge biologique ". Si les femmes veulent une famille, elles doivent en principe commencer avant 35 ans. Cela ne veut pas dire qu'il est impossible d'avoir un enfant plus tard, mais c'est plus risqué », indique-t-elle.
Conséquence : l’on est plus susceptible de retrouver plus d’hommes à des postes de recherche en STIM, car la plupart des femmes choisissent de contourner les contraintes de leur horloge biologique. Toutefois, Karen Morenz souligne que les institutions qui mettent en place d’excellentes politiques en matière de garde d’enfants et de congés de maternité parviennent à doubler leurs effectifs de femmes dans ces filières en comparaison d’autres qui n’en disposent pas.
Un avis qui rejoint celui d’un ex-Googler
La publication de Karen Morenz fait suite à celle de James Damore. En 2017, l’ex-Googler a publié un mémo pour expliquer les inégalités salariales, entre autres, dans la filière technologique. Comme Karen Morenz ce dernier s’était refusé de les mettre sur le compte d’une discrimination basée sur le sexe, mais les avait expliqué par des « différences biologiques. »
« On se demande toujours pourquoi on ne trouve pas de femmes à des postes de responsabilité, mais on ne demande jamais pourquoi on y trouve autant d’hommes », avait-il lancé. D’après ce dernier, c’est également parce que « ces postes nécessitent souvent de longues et stressantes heures de travail qui peuvent ne pas valoir le coup si vous voulez mener une vie équilibrée et gratifiante. » Il avait également estimé que les aptitudes naturelles des hommes les conduisent à devenir facilement des programmateurs en informatique, alors que les femmes sont, plus enclines « aux sentiments et l'esthétique plutôt que vers les idées ». Ce détail justifierait le fait que ces dernières optent en général pour des carrières « dans le social ou l'artistique » comme le souligne Karen Morenz dans sa publication.
Source : billet Morenz
Et vous ?
Que pensez-vous de l’opinion de Karen Morenz ?
D'après vous, pourquoi les femmes sont-elles sous-représentées dans les filières STIM ?
D'un point de vue professionnel, comment les trouvez-vous en général aux postes de développeurs et IT Pro ?
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Le , par Patrick Ruiz
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