Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a annoncé ce mercredi que l'institution allait expérimenter dès l'année prochaine une Monnaie Digitale de Banque Centrale (MDBC). C'est une première en Europe. « Nous entendons commencer des expérimentations rapidement et lancer un appel à projets (pour des acteurs du secteur privé) d'ici à la fin du premier trimestre 2020 », a-t-il expliqué lors d'une conférence de l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR). Le projet sera réservé aux institutions financières.
L'expérimentation française participera « à l'étude d'un éventuel e-euro » porté par l'Eurosystème, un sujet déjà évoqué lundi devant le Parlement européen par la nouvelle présidente de la banque centrale européenne, Christine Lagarde, a développé Villeroy de Galhau.
Il a noté tout d’abord les grandes tendances qui caractérisent le marché des paiements en Europe. La numérisation croissante des paiements scripturaux (qui a pour corollaire une diminution significative de la demande d’espèces dans certains pays, de la Suède à la Chine) a été favorisée par la montée en puissance d’acteurs non bancaires. « Et il faut bien reconnaître qu’aujourd’hui, le "centre de gravité" des paiements se déplace vers ces nouveaux acteurs, notamment les BigTechs. Ce basculement constitue à la fois un défi pour le modèle économique des banques et un enjeu de souveraineté pour l’Europe, dès lors que les infrastructures, le savoir-faire et la technologie qui les sous-tendent seraient pour l’essentiel détenus par des entreprises non européennes ».
L’émergence parallèle d’une nouvelle génération de cryptoactifs amplifie ces ruptures. Ainsi, aux premiers cryptoactifs spéculatifs tels que les bitcoins (très volatils, sans réel sous-jacent économique et peut-être sans grande perspective selon le gouverneur), a succédé une seconde génération d’actifs, fondés sur la même technologie blockchain prometteuse, mais assortis désormais de mécanismes destinés à stabiliser leur valeur, les stablecoins. Ces stablecoins, grâce aux effets de réseau, pourraient apporter une solution concrète en matière de paiements transfrontaliers qui sont encore trop chers et trop lents.
Pour le gouverneur, « il est bien sûr exclu, pour nous, banquiers centraux et superviseurs, de subir ce changement. Nous devons assumer pleinement l’exercice de notre double objectif – garantir la confiance / soutenir l’innovation – qui est inscrit dans l’ADN même de notre institution ». L'initiative de la Banque de France vise à renforcer l'efficacité et la productivité du système financier, tout en favorisant la confiance dans la monnaie. Elle « permettrait de disposer d'un puissant levier d'affirmation de notre souveraineté face aux initiatives privées du type Libra », selon le gouverneur, qui a souligné le « déclic » constitué par l'annonce en juin du projet de Facebook. Outre Facebook, la banque américaine JPMorgan a également annoncé en février le prochain lancement du JPM Coin, adossé au dollar et réservé aux investisseurs institutionnels.
Le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire, très opposé au futur Libra, avait appelé de ses vœux en septembre à la création d'une monnaie numérique publique. Il avait également souligné l'importance de ne pas être distancé par d'autres pays comme la Chine, qui avancent très vite sur leur projet de cryptomonnaie nationale.
Un appel qui rejoint celui de Villeroy de Galhau : « Je vois un intérêt certain à avancer rapidement sur l'émission au moins d'une MDBC de gros [NDLR : destinée aux paiements entre acteurs du secteur financier] afin d'être le premier émetteur au niveau international et tirer ainsi les bénéfices réservés à une MDBC de référence ».
Il a partagé ses réflexions sur trois dimensions : les finalités, les externalités et les modalités possibles d’une telle monnaie numérique de Banque centrale.
Finalités possibles
« Je vois, à ce stade, trois finalités différentes – mais non exclusives les unes des autres – à la digitalisation de la monnaie de banque centrale. La première tient à la volonté, dans les pays comme la Suède où l’utilisation des espèces est en fort déclin, de garantir l’accès des citoyens à la monnaie de banque centrale. Disposer d’une MDBC permettrait alors de préserver la confiance dans le système financier qui résulte en partie de la possibilité d’échanger ses avoirs contre de la monnaie légale. Le deuxième argument porte sur les gains d’efficacité, la réduction des coûts d’intermédiation et la robustesse potentiellement générés par la « tokénisation » de la monnaie centrale notamment dans les activités de règlement et de post-marché (objectif également visé par le projet JPM Coin de la banque JP Morgan). Enfin, troisième finalité – la plus importante pour les autorités politiques, y compris en France et en Europe – la mise en place d’une MDBC nous permettrait de disposer d’un puissant levier d’affirmation de notre souveraineté face aux initiatives privées du type Libra. C’est d’ailleurs l’une des préoccupations mises en avant par la Banque centrale chinoise dans son projet de Digital Currency Electronic Payment (DCEP) ».
Dans un tel contexte, quelle forme donner au MDBC ? En la matière, les attentes du grand public diffèrent sensiblement de celles des institutions financières. Deux usages différents de MDBC pourraient donc à terme se côtoyer, l’un destiné aux paiements entre acteurs du secteur financier (monnaie dite de « gros ») utilisant la blockchain et toutes ses possibilités, notamment la disponibilité de « smart contracts», l’autre destiné au public (monnaie dite de «détail »), plus simple et mieux à même de traiter des opérations de masse. À cet égard, le gouverneur estime que les institutions financières disposent d’un niveau de maturité numérique plus élevé que les particuliers puisqu’elles accèdent déjà à la monnaie centrale sous forme numérique grâce à leurs comptes à la banque centrale.
Externalités possibles
« L’émission d’une MDBC peut générer des externalités positives significatives en accroissant la productivité du secteur financier et au-delà de l’économie, et en soutenant la confiance dans la monnaie et le système financier. Mais parallèlement, il nous faut absolument étudier les externalités potentiellement négatives qu’une MDBC pourrait avoir sur la liquidité, la rentabilité et l’intermédiation bancaires. Les risques associés aux conversions importantes et/ou soudaines de dépôts bancaires vers la monnaie centrale devront, à ce titre, être strictement étudiés ».
Modalités possibles
« La troisième dimension tient aux modalités de diffusion de la MDBC, notamment "de détail", qui devront faire l’objet d’une vigilance particulière. Je pense à la question de son statut légal – qui n’est pas indispensable, mais probable – ; aux conditions de sa détention – sous forme de comptes plutôt que de jetons – ; et, enfin, à la possibilité d’y accéder pour les non-résidents, ce qui favoriserait incontestablement son internationalisation. Par ailleurs, grâce à un savoir-faire éprouvé en matière d’instruments de paiement, de connaissance de la clientèle et de suivi des transactions, les intermédiaires financiers pourront jouer un rôle de vigie aux avant-postes de la distribution de la MDBC. Une réflexion parallèle devra nécessairement être engagée pour définir les possibilités d’anonymat lorsque la MDBC circule "de personne à personne". Des seuils sur les montants de transactions anonymes, comme cela se fait déjà en France pour les paiements en monnaie électronique ou en cash, pourraient être instaurés dans ce but ».
Source : discours du gouverneur de la Banque de France
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Le , par Stéphane le calme
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