C’est une préoccupation qui revient continuellement depuis le début de cette décennie : « À quel point l’automatisation grandissante va-t-elle impacter sur les emplois ? » La question a été traitée par de nombreux spécialistes et les rapports donnant une estimation du nombre d’emplois qui pourraient disparaître dans les prochaines années en raison de cette automatisation sont plusieurs. À nouveau, des économistes reviennent sur la question, mais cette fois, dans un angle spécifique : le salaire. Selon eux, l’automatisation a entraîné une stagnation du salaire des travailleurs.
Concernant le rapport automatisation/emplois, le point de vue des économistes Sylvain Leduc et Zheng Liu de la Réserve fédérale américaine de San Francisco, est clair. D’après eux, « la menace de l'automatisation a affaibli le pouvoir de négociation des travailleurs dans les négociations salariales et conduit à une stagnation de la croissance des salaires ». Ceci est arrivé malgré le fait que la productivité de la main-d'oeuvre ait augmenté le long de ces vingt dernières années. Leur analyse suggère que l'automatisation a largement contribué à la diminution de la part de la main-d'œuvre.
L’étude de Sylvain Leduc et Zheng Liu a mis en avant le fait que les salaires des travailleurs américains ne sont pas à la hauteur des gains de productivité. En cause, les robots et l'automatisation, qui affaiblissent le pouvoir de négociation des travailleurs humains lorsqu'il s'agit de demander des salaires plus élevés. Mais contrairement à la stagnation des salaires des Américains, ces derniers seraient plus productifs que jamais selon les chercheurs Sylvain Leduc et Zheng et ceux du cabinet d’étude Economic Policy Institute (EPI) basé à Washington D.C.
Une étude réalisée par les chercheurs de l’EPI a démontré qu’avant les années 1970, la rémunération (les salaires et les avantages sociaux) des travailleurs types a augmenté parallèlement à la productivité (la quantité de travail qui est produite par les travailleurs/heure). En d'autres termes, à mesure que l'économie devenait plus efficace et prenait de l'expansion, les Américains ordinaires bénéficient en conséquence d’un meilleur salaire. Mais dans les années 1970, cela a commencé à changer. La productivité a augmenté de 6,0 fois plus que le salaire depuis 1979.
Plus précisément, ils estiment que de 1979 à 2018, la productivité nette a augmenté de 69,6 %, tandis que le salaire horaire des travailleurs typiques a essentiellement stagné, augmentant de 11,6 % en 39 ans (après ajustement pour tenir compte de l’inflation). Cela signifie que, bien que les Américains travaillent de manière plus productive que jamais, les fruits de leur travail ont principalement profité aux plus hauts dirigeants et aux bénéfices des entreprises, en particulier ces dernières années. D’après les deux économistes, cela est en grande partie dû à l’automatisation.
Sylvain Leduc et Zheng Liu théorisent que l'automatisation sape le pouvoir de négociation des employés, ce qui les empêche d'exiger des salaires plus élevés. Les entreprises de divers secteurs d'activité ont de plus en plus la possibilité d'utiliser la technologie pour gérer le travail autrefois effectué par des personnes, ce qui confère aux employeurs l'avantage dans la fixation des salaires. Il en résulte un fossé grandissant entre les salaires et la productivité. Cela pourrait encore s’accélérer dans les prochaines années si aucune solution n’est envisagée.
« L'une des causes possibles de la baisse de la part du travail est que les travailleurs ont perdu leur pouvoir de négociation au fil des ans. Les entreprises ont plus d'options que par le passé pour automatiser les postes difficiles à pourvoir. Grâce aux progrès rapides de la robotique et de l'intelligence artificielle, les robots peuvent effectuer davantage de tâches et d'emplois qui nécessitaient des compétences humaines il y a encore quelques années », ont écrit les économistes Sylvain Leduc et Zheng Liu.
L’étude a aussi indiqué que la baisse constante des prix relatifs des robots et des équipements d'automatisation au cours des dernières décennies a rendu l'automatisation de plus en plus rentable. Dans un tel environnement, les travailleurs peuvent se montrer réticents à demander des augmentations de salaire importantes par crainte qu'un employeur remplace leur emploi par des robots. En gros, l'automatisation possède un impact considérable sur la part de la main-d’œuvre, ainsi que des effets défavorables sur le pouvoir de négociation des travailleurs.
Récemment, Andrew Yang, un candidat aux élections présidentielles américaines de 2020, a envisagé d'obliger les entreprises qui suppriment les emplois suite à une automatisation à offrir aux travailleurs de nouveaux emplois avec un salaire égal. Il a aussi parlé d’un programme consistant à donner à chaque adulte américain 1 000 dollars par mois en revenu de base. « L'automatisation rend les choses difficiles aux travailleurs pour en demander davantage. Nous devrions simplement augmenter le salaire des Américains », a-t-il écrit dans un tweet cette année.
Cela suffira-t-il à résoudre le problème ? Lorsque l’automatisation prendra encore plus de l’ampleur pendant la prochaine décennie, faudra-t-il encore augmenter les salaires ? Cette proposition a été longuement discutée et beaucoup ne voient pas cela comme une solution évidente. Cela dit, l'automatisation entraîne des changements massifs dans le travail qui frappent durement certaines industries et certains travailleurs, tels que les travailleurs peu et moyennement qualifiés. Des cabinets comme le Bureau of Labor Statistics ont publié dernièrement des chiffres sur cet aspect.
Selon le Bureau of Labor Statistics, le principal établissement du gouvernement américain dans le domaine de l'économie du travail et des statistiques et lié au Département du Travail des États-Unis, le nombre d'assistants de bureau et d'employés de bureau devrait diminuer de 5 % d'ici 2026, car les bureaux transfèrent désormais ces tâches à l'intelligence artificielle et à d'autres logiciels. D’après le Bureau of Labor Statistics, cela pourrait entraîner une perte de 200 000 emplois. Ceci est dans le même ordre que les pertes d’emplois annoncées dans les banques US.
Selon un autre rapport sur la paire automatisation/emplois, environ 200 000 emplois devraient disparaître dans les banques américaines dans la prochaine décennie en raison de la technologie. Selon le rapport, les sociétés financières du pays consacrent 150 milliards de dollars chaque année à la technologie, plus que toute autre industrie, ce qui permettra de réduire les coûts. La rémunération des employés représentant la moitié des dépenses des banques, le rapport annonce la disparition de 10 % du total des emplois dans les banques dans la prochaine décennie.
Les deux économistes Sylvain Leduc et Zheng Liu n’ont pas manqué de dire que l’automatisation est la cause de la diminution considérable et sans cesse de la main-d’œuvre, mais également qu’elle est l’origine de pourquoi les salaires des travailleurs stagnent depuis de deux décennies maintenant. Selon eux, même si les travailleurs américains sont de plus en plus productifs aujourd’hui que jamais, ces derniers ont tout simplement peur de demander une augmentation de salaire au risque de voir leur emploi remplacé par une machine autonome.
« Nous soutenons que l’automatisation est peut-être en partie responsable. La possibilité d'automatiser les emplois renforce le pouvoir de négociation des entreprises contre les travailleurs. Cela maintient les augmentations de salaire stagnantes malgré les gains de productivité. Nous constatons que l’automatisation a considérablement contribué au déclin de la part de la main-d’œuvre depuis le début des années 2000 », ont-ils conclu dans leur lettre économique.
Sources : Lettre économique FRBSF, Economic Policy Institute
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Le , par Bill Fassinou
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