La plainte, déposée devant le tribunal américain du district de Eastern Virginia, ne cherche pas à faire cesser la publication ou la distribution de Permanent Record. Comme l'a déclaré un porte-parole du DOJ dans un communiqué de presse, « sous la jurisprudence bien établie de la Cour suprême [dans l'affaire] Snepp c. États-Unis, le gouvernement cherche à recouvrer tout le produit réalisé par Snowden en raison de son incapacité à soumettre sa publication à un examen préalable à la publication, en violation de ses obligations contractuelles et fiduciaires présumées ».
Le mémoire de Snowden n’aurait pas été soumis à la CIA ou à la NSA pour un examen préalable à la publication, une pratique obligatoire parmi les anciens employés des agences de renseignement. En tant que tel, le ministère considère le livre comme une violation des obligations contractuelles et fiduciaires de Snowden et désigne les éditeurs comme codéfendeurs dans la poursuite.
Étant donné les programmes et les documents encore classés qui ont été abordés dans le mémoire, il est peu probable que le livre ait été approuvé pour publication par les agences. Snowden reste un fugitif de facto du gouvernement des États-Unis et serait probablement poursuivi en vertu de la loi sur l'espionnage s'il retournait dans son pays. Ce nouveau procès civil pourrait néanmoins causer des problèmes à Snowden, interdisant potentiellement à ses éditeurs de publier le produit de l’ouvrage.
Un écran de fumée, selon certains défenseurs américains de Snowden
Bien que le Ministère américain de la Justice déclare explicitement que « La poursuite des États-Unis ne vise ni à arrêter ni à restreindre la publication ou la distribution de Permanent Record » étant donné que cela serait illégal au sens du Premier Amendement (liberté d'expression), de nombreux défenseurs américains de Snowden estiment que la poursuite soulève de réelles questions quant à la constitutionnalité du système d’examen préalable à la publication.
« Ce livre ne contient aucun secret gouvernemental qui n'ait été publié auparavant par des agences de presse respectées », a déclaré l'avocat de l'ACLU, Ben Wizner, qui a représenté Snowden dans d'autres domaines. « Si M. Snowden avait cru que le gouvernement examinerait son livre de bonne foi, il l'aurait soumis. Mais le gouvernement continue d'insister sur le fait que les faits connus et discutés dans le monde sont encore en quelque sorte classés ».
D'autres voient dans cette action en justice une tentative de détourner l'attention des révélations de Snowden. « Si seulement le ministère de la Justice s'inquiétait autant des violations légales systématiques commises par les programmes de surveillance de masse du gouvernement américain que d'essayer d'atténuer l'impact d'un mémoire personnel de la personne qui avait alerté le public », a lancé le directeur de la Freedom of the Press Foundation Trevor Timm. « Ce procès égaré est une raison de plus pour que tout le monde lise le livre de Snowden ».
Le gouvernement s'explique
Mais du côté du gouvernement, certains s'expliquent. « Les renseignements devraient protéger notre pays et non pas permettre de générer un profit personnel », a déclaré G. Zachary Terwilliger, procureur américain du district oriental de Virginie. « Cette action en justice garantira qu'Edward Snowden ne retirera aucun avantage financier de la violation de la confiance placée en lui ».
« Edward Snowden a violé une obligation qu’il avait contractée envers les États-Unis lorsqu’il a signé des accords dans le cadre de son emploi pour la CIA et en tant que contractant de la NSA », a déclaré le procureur général adjoint Jody Hunt de la division civile du ministère de la Justice. « La capacité des États-Unis à protéger des informations confidentielles relatives à la sécurité nationale dépend du respect par les employés et les entrepreneurs de leurs accords de non-divulgation, y compris de leurs obligations en matière d’examen préalable à la publication. Cette action en justice démontre que le ministère de la Justice ne tolère pas ces atteintes à la confiance du public. Nous ne permettrons pas aux individus de s’enrichir, aux dépens des États-Unis, sans se conformer à leurs obligations en matière d’examen préalable à la publication ».
Dans sa plainte, le Ministère américain de la Justice affirme que Snowden a violé les accords de confidentialité de la CIA et de la NSA qu’il a signés aux termes de son contrat de travail. Dans les accords de non-divulgation conclus avec la CIA, Snowden a signé qu'il reconnaissait « être tenu de soumettre son matériel à un examen préalable à la publication » avant de discuter [du travail] avec ou de le montrer à toute personne non autorisée à accéder à des « informations classifiées », ont expliqué les avocats du Ministère de la Justice dans leur plainte. « Snowden était également tenu de "ne prendre aucune mesure en faveur de la divulgation publique avant d'obtenir l'autorisation écrite de la Central Intelligence Agency de le faire ».
Dans le cadre de l'accord de non-divulgation, « Snowden a convenu expressément que "[en plus de tout autre recours auquel le gouvernement des États-Unis pourrait avoir droit, je cède au gouvernement des États-Unis tous les droits, titres et intérêts dans toutes les redevances, rémunérations et émoluments résultant ou pouvant résulter de toute divulgation, publication ou révélation d'informations ou de documents de ma part effectuée en violation de [l'obligation de publication préalable]] " ».
Un langage similaire est apparu dans un accord de confidentialité signé par Snowden lorsqu'il est allé travailler pour la NSA en tant que contractant de Booz Allen Hamilton. Dans les accords de la CIA et de la NSA, il a reconnu que ces conditions resteraient en vigueur jusqu'à ce qu'il reçoive une libération écrite des agences.
Macmillan n'est désigné dans la poursuite que comme un « relief party », dans la mesure où le gouvernement cherche à contraindre Macmillan à remettre tout le produit qui devait être remis à Snowden. Pour empêcher la distribution du produit des ventes aux États-Unis à des parties situées à l'extérieur du pays, le gouvernement demande une ordonnance de blocage temporaire « gelant tous les avoirs en possession de Macmillan relatifs à Permanent Record qui appartiennent à Snowden ou à ses agents, cessionnaires ou autres agissant en son nom ». Et la plainte demande au tribunal « d'imposer une fiducie au profit des États-Unis » pour percevoir toutes les entrées que Snowden et ceux qu'il aurait désignés comme cessionnaires pour les redevances auraient touchées (y compris des droits de cinéma et d'un développement en série télévisée).
La plainte vise également à empêcher Snowden de tirer profit de ses futurs engagements et œuvres écrites « sans lancer au préalable le processus de prépublication ».
Edward Snowden se dit être prêt à retourner aux États-Unis s’il a la garantie d'un procès équitable
Edward Snowden a déclaré être prêt à rentrer aux États-Unis s'il a la garantie d'un procès équitable après avoir été accusé d'espionnage et de vol pour avoir divulgué des secrets de renseignement en 2013. Lors d'un entretien avec CBS, l'ancien contractuel de la NSA, qui s'est enfui en Russie pour échapper à toute accusation au pénal, a déclaré que « L’un des grands sujets d’actualité en Europe est de savoir si l’Allemagne et la France m’invitent à demander l’asile (…). Bien entendu, j’aimerais revenir aux États-Unis ».
Dans sa dernière interview, Snowden a déclaré qu'il ne cherchait pas à obtenir une grâce de Donald Trump ou un traitement spécial de la part des États-Unis lorsqu'il évoquait les conditions possibles de son retour au pays. « Je ne demande pas de défilé. Je ne demande pas de pardon », a-t-il déclaré. « Je ne demande pas de laissez-passer. Ce que je demande, c'est un procès équitable ».
Sa vie est rythmée par des asiles. À Hong Kong tout d’abord, puis en Russie, où il vit depuis plusieurs années, et où il obtient un droit de résidence limité. En 2017, le Kremlin rallonge même ce droit jusqu’en 2020, qui arrive, de fait, bientôt à expiration.
La demande d'asile d'Edward Snowden en France, une possibilité ?
Concernant une potentielle invitation de la part de la France, la Garde des Sceaux, ministre de la Justice Nicole Belloubet a déclaré être favorable à l'accueil d'Edward Snowden en France. Toutefois, selon les informations de RTL, l'Élysée n'est pas sur la même ligne ; il s'agit là d'une position personnelle de la ministre de la Justice. « Rien n'est tranché », indique un conseiller d'Emmanuel Macron.
Ce n'est pas la première fois qu'Edward Snowden réclame à la France l'asile politique. Il l'avait déjà fait sous François Hollande et n'avait pas obtenu gain de cause. Et rien ne dit maintenant que cette nouvelle demande change la donne. Au contraire, dit un proche du chef de l'État, il est peu probable que Paris réponde favorablement pour des raisons diplomatiques vis-à-vis des États-Unis. En l'accueillant sur son sol, la France se mettrait à dos Washington.
Interrogé par L'Express, Jean-Philippe Foegle, coordinateur de la Maison des lanceurs d'alerte (MLA), souligne qu'il n'existe actuellement pas de « statut de lanceur d'alerte en droit d'asile ». Auprès de l'Ofpra (Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides), l'Américain ne pourra donc pas faire valoir ce statut en cas de demande d'asile.
Sources : Ministère américain de la Justice, accords avec la CIA, accords avec la NSA, plainte contre Edward Snowden, RTL, L'Express
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Pensez-vous comme certains qu'il s'agit là d'un écran de fumée ou considérez-vous le fait qu'Edward Snowden a violé sa clause de non-divulgation ?
Un lanceur d'alerte devrait-il, selon vous, pouvoir librement publier des informations confidentielles ? Dans quelle mesure ?
La France gagnerait-elle à accueillir Edward Snowden ?
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