Les initiatives de la Russie pour le développement d’un Internet souverain continuent de susciter des réactions de toute part. La semaine dernière, c’est la BBC Future qui exprimait son inquiétude face à un risque élevé de désintégration de l’Internet mondial. Pour la Russie, un Internet souverain est une mesure de protection contre la menace de l’Occident, car ce dernier se considère comme l’administrateur de l’Internet mondial. Mais d’après les nombreuses réactions de divers groupes de personnes à travers le monde, cette démarche entreprise par la Russie et d’autres pays de l’Asie fera de l’esprit ouvert de l’Internet, en tant qu’espace sans frontières libéré des diktats de chaque gouvernement, un souvenir pittoresque.
L'année dernière, le Parlement russe a été saisi d'une loi imposant aux fournisseurs d'accès à Internet russes d'assurer l'indépendance de l'espace Internet russe (Runet), de sorte à pouvoir déconnecter le pays du reste de l'Internet en cas d'agression étrangère. Dans le cadre de ces changements techniques majeurs, les entreprises russes de télécommunications devraient également mettre en place des « moyens techniques » pour réacheminer tout le trafic Internet russe vers des points d'échange approuvés ou gérés par Roskomnazor, l'organisme russe de surveillance des télécommunications. « Nous savons tous qui est l’administrateur en chef de l’Internet mondial. Et en raison de sa volatilité, nous devons réfléchir à la façon d’assurer notre sécurité nationale », avait déclaré Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin l’année dernière.
Il incombe à cet organisme, la charge d’inspecter le trafic afin de bloquer les contenus interdits et s'assurera que le trafic entre les utilisateurs russes reste à l'intérieur du pays, et qu’il n’est pas dirigé vers des serveurs à l'étranger, où il pourrait être intercepté. Ainsi, depuis le début de cette année, la Russie a multiplié les actions visant à acquérir un contrôle total sur son cyberspace et ériger un mur de protection autour de celui-ci, et ce, malgré les nombreuses protestations contre la loi de restriction d’Internet. En effet, en mars, des milliers de personnes se sont rassemblées à Moscou et dans 2 autres villes pour manifester contre la politique concernant Internet dans le pays qui est de plus en plus restrictive et qui, selon certains, conduira inévitablement à une censure totale et isolera le pays du reste du monde.
La loi sur le Runet permettant de couper l'Internet russe du reste du monde a été votée en avril par le Parlement russe. Même si la loi est impopulaire, le président russe, Vladimir Poutine l’a approuvée ce mois-ci et son entrée en vigueur est prévue pour le mois de novembre prochain. Un sondage effectué pour voir combien de Russes étaient favorables à l’entrée en vigueur du Runet avait révélé que seulement 23 % des Russes se sont montrés en faveur à la loi. Les opérateurs de télécoms seront dans l’obligation de respecter ses termes dès le début de 2021.
Selon la BBC, cet engouement pour une souveraineté d’Internet dans les pays de l’Est est né du fait que ces pays ne sont pas satisfaits de la coalition occidentale qui a toujours eu une influence sur la gouvernance de l’Internet. Le média poursuit en disant que ce ne sont pas seulement les philosophies adoptées par l'Occident qui troublent ces pays, mais la manière dont ces philosophies ont été intégrées à l'architecture même d'Internet, qui est assez célèbre pour que personne ne puisse empêcher qui que ce soit d'envoyer quoi que ce soit. De ce fait, beaucoup de pays estiment qu’un Internet souverain les aidera à protéger leurs citoyens de la désinformation et des contenus indésirables.
Ils évoquent également une protection contre certaines informations malveillantes telles que des logiciels malveillants atteignant des installations militaires et des réseaux critiques d'alimentation en eau et d'électricité, ou de fausses nouvelles influençant l'électorat. Bien que les gouvernements prétendent que la souveraineté d'Internet protège leurs citoyens des logiciels malveillants, explique la BBC, leur crainte majeure reste celle de perdre la liberté de « l'Internet ouvert » dont ils voient l’occident comme le chef d'orchestre. Certains accusent l’occident d’utiliser son hégémonie sur l’Internet mondial comme une arme de persuasion et d’intimidation. L'idée de base est que la Russie devrait avoir aussi la possibilité de vivre et de travailler dans des conditions où Internet serait fermé, au cas où quelque chose arriverait à l'extérieur.
« L’Internet souverain n'implique pas que la Russie disposera d'une sorte d'Intranet dans lequel elle vivra, alors que seules les personnes spécialement sélectionnées, munies de pass spéciaux et de cartes, seront autorisées à utiliser l'Internet externe. Non. L'idée de base est que la Russie devrait avoir aussi la possibilité de vivre et de travailler dans des conditions où Internet serait fermé, au cas où quelque chose arriverait à l'extérieur. Ce cas sous-entend essentiellement, selon les auteurs du projet de loi, une agression extérieure, en référence au concept de défense américain, où la possibilité d'attaques contre la Russie sur Internet était spécifiquement mentionnée », a déclaré cette année Dmitri Demidenko, le vice-président de la Chambre de commerce franco-russe.
Cependant, rapporte la BBC, des scientifiques estiment que la souveraineté sur Internet n’est pas aussi simple à obtenir que de vous couper de l’Internet mondial. Cela peut sembler contre-intuitif, mais pour illustrer à quel point une telle mesure serait contre-productive, il suffit de regarder de plus près la Corée du Nord. Un seul câble relie le pays au reste de l'Internet mondial. Vous pouvez le déconnecter en un tournemain. Mais peu de pays envisageraient de mettre en place une infrastructure similaire. Du seul point de vue du matériel, c'est presque impossible, a rapporté le journal anglais.
« Dans les pays dotés d’une connectivité riche et diversifiée avec le reste d’Internet, il serait pratiquement impossible d’identifier tous les points d’entrée et de sortie », a déclaré Paul Barford, informaticien à l’Université du Wisconsin à Madison, qui trace le réseau de tuyaux et câbles physiques traversés par l’Internet mondial. Il explique que même si la Russie pouvait en quelque sorte trouver tout le matériel par lequel l'information circule à l'intérieur et à l'extérieur du pays, il ne leur serait pas très utile de fermer ces robinets, à moins qu'ils ne soient également heureux d'être séparés de l'économie mondiale. Internet est désormais un élément essentiel du commerce mondial et la Russie ne peut se déconnecter de ce système sans perturber son économie.
De son côté, pour expliquer les faibles chances pour la Russie d’obtenir un Internet souverain, Adam Segal, expert en cybersécurité au sein du groupe de réflexion américain Council on Foreign Relations a indiqué que même un système de pare-feu comme celui de la ne marchera pas pour la Russie. Il souligne le fait que la Russie dépend énormément des plateformes américaines de médias sociaux et mettre en place un tel pare-feu nécessite des investissements très importants. L’autre inconvénient pour la Russie réside dans les millions de points d’interconnexion qu’il possède avec l’Internet mondial.
Une grande partie de l'avantage de la Chine, a écrit la BBC, réside également dans les tuyaux physiques sur lesquels est construit Internet. La Chine, méfiante de la nouvelle technologie occidentale dès le départ, n'a autorisé que très peu de points d'entrée et de sortie à partir d'Internet mondial jusqu'à ses frontières, alors que la Russie était initialement assez accueillante pour le boom de l'Internet et est par conséquent criblée d'interconnexions. La Chine a simplement moins de frontières numériques à surveiller. Selon le média, la Russie ne peut donc pas se permettre de devenir un réseau Internet d'entreprise. Et cela ne peut pas reproduire l'approche de la Chine.
D’après certains, la Russie travaille sur une méthode hybride qui ne repose ni sur le matériel ni sur les logiciels, mais sur un ensemble de processus et de protocoles qui déterminent si le trafic Internet peut être transféré de son origine à sa destination, une méthode basée sur le DNS. « Si la Russie réussissait dans ses projets ultimes de DNS national, il ne serait pas nécessaire de filtrer les informations internationales. Le trafic Internet russe n'aurait tout simplement jamais besoin de quitter le pays », a déclaré Robert Morgus, analyste senior en cybersécurité à la New America Foundation.
Il continue en disant que cela signifierait que les seuls éléments auxquels les Russes ou quiconque pourraient accéder de l'intérieur de la Russie sont des informations hébergées à l'intérieur de la Russie, sur des serveurs physiquement situés dans le pays. Cela signifie également que personne ne peut accéder à des informations externes, qu'il s'agisse de leur argent externe ou de l'achat par Amazon d'une écharpe. Selon la BBC, la plupart des experts reconnaissent que l'objectif principal de la Russie dans ce domaine est d'accroître son contrôle sur ses propres citoyens, mais l'action peut aussi avoir des conséquences globales. Les menaces qui pèsent sur l'Internet ouvert continuent de susciter des réactions passionnées, mais certains experts estiment que le changement est désormais inévitable.
Un Internet séparé pour certains, explique la BBC, une souveraineté médiée par les médias sociaux pour d'autres, que les frontières de l'information soient définies individuellement par des pays, des coalitions ou des plateformes Internet mondiales, une chose est claire : l'Internet ouvert dont rêvaient ses premiers créateurs est déjà parti. « Internet n'a pas été une chose connectée globalement depuis longtemps », a déclaré Dominique Lazanski, qui travaille sur la gouvernance internationale de l’Internet.
Source : BBC
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Internet serait-il en train de se désintégrer à cause de certains pays qui œuvrent pour leur souveraineté ?
Si oui, que se passera-t-il après ?
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Si oui, que se passera-t-il après ?
Le , par Bill Fassinou
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