Pour François Lacôte, Hyperloop d'Elon Musk est « une formidable escroquerie technico-intellectuelle ». Il est important de préciser que François Lacôte est un ingénieur et industriel français spécialisé dans l'industrie ferroviaire. Diplômé de l'École polytechnique, puis de l'École nationale des ponts et chaussées, il a dirigé la réalisation et les campagnes d'essais de pratiquement toutes les générations de TGV au sein de la SNCF, puis d'Alstom. Il a démonté le projet d'Elon Musk dans un point de vue d'expert paru dans la lettre d'avril 2018 de l'association Pangloss, mais qui vient d'être répéré par le site La Lettre du Cheminot.
Un postulat de départ inexact
François Lacôte estime avant tout que le postulat de départ du projet Hyperloop est inexact. Comme d’autres projets de transport terrestre guidés réputés « innovants » (Aérotrain, Transrapid allemand ou Maglev japonais, tous datant du début des années 70), le projet Hyperloop se fonde sur la pétition de principe que le système roue-rail connaît plusieurs limites, comme le fait que la limite technique de vitesse du système ferroviaire tournerait autour de 200-250 km/h. Mais c'est un postulat faux, d'après François Lacôte, puisqu'une campagne d'essais étalée sur trois mois d'hiver (janvier à début avril 2007) a permis d'atteindre un record de 575 km/h le 3 avril 2007, avec 28 marches d’essai effectuées à plus de 500 km/h. Cela a montré, selon l'expert français, que le système ferroviaire a un potentiel technique de vitesse d’au moins 500 km/h.
Les autres limites attribuées au système roue-rail sont la limite énergétique et le coût de l'infrastructure. Pour la limite énergétique, s’il est exact que la résistance à l’avancement dans l’air croît rapidement avec la vitesse, l’essentiel de cette résistance vient de la résistance aérodynamique, la résistance au roulement du contact roue-rail (déjà très faible) ne représentant plus que quelques pour cent du total au-delà de 300 km/h. Ainsi, tous les systèmes de transport terrestre obéissent à la même loi de la résistance aérodynamique à l’air libre, les systèmes ne faisant plus appel au contact roue-rail ne bénéficiant d’aucun avantage spécifique.
En ce qui concerne le coût de l’infrastructure, M. Lacôte affirme également qu'il n’est que très faiblement lié à la technologie ferroviaire. Il est essentiellement lié au tracé qui doit être de plus en plus rectiligne au fur et à mesure que l’on augmente la vitesse, et donc exige un nombre croissant d’ouvrages coûteux (viaducs et tunnels) pour inscrire ce tracé dans le relief traversé.
Rien de neuf ! Hyperloop n’est que la reprise d’un très vieux projet
François Lacôte rappelle ensuite qu’à la fin des années 60 et au début des années 70, de nombreux projets de nouveaux systèmes de transport terrestre furent imaginés, et pour certains développés à grands frais, s’appuyant sur ce même faux postulat que le système ferroviaire était limité en pertinence technique et économique du fait de l’existence du contact entre mobile et infrastructure, soit le contact roue-rail.
En France, c’est l’ingénieur Jean Bertin qui inventa, avec l’aide financière des pouvoirs publics français, l’Aérotrain, train à sustentation et guidage par coussins d’air, et propulsion par hélice ou réacteur d’avion. En Allemagne, ce sont les sociétés Thyssen et Siemens qui développent, avec le soutien financier du gouvernement allemand, le Transrapid, train à sustentation et guidage par attraction magnétique, et propulsion par moteur linéaire synchrone. Au Japon, la compagnie Japan Rail développe le Maglev, train à sustentation et guidage magnétique par répulsion, et propulsion par moteur linéaire.
Ces trois développements ont donné lieu à la construction de lignes expérimentales : 18 km dans le Loiret pour l’Aérotrain (1968), 40 km environ dans l’Emsland pour le Transrapid (1984), 50 km environ dans la région de Yamanashi (pratiquement sous le mont Fuji) pour le Maglev japonais (1990). Seule la ligne Yamanashi est encore opérationnelle à ce jour, et une seule réalisation est en service commercial, la ligne de Transrapid reliant l’aéroport Pudong à Shanghai (35 km) ; les autres projets de liaison Transrapid, envisagés à l’origine, en particulier en Allemagne, ont été abandonnés. Ainsi, 50 ans après les premières études de systèmes de transport terrestre alternatifs au système roue-rail, une seule ligne expérimentale est encore en fonctionnement, et une seule ligne de 35 km en service commercial.
Ces projets ont échoué pour des raisons multiples sur lesquelles l'industriel français ne s'est pas étalé, parcequ'il a voulu juste rappeler que le concept de l’Hyperloop d’Elon Musk, pour la partie véhicule et sustentation/guidage, a déjà 50 ans d’existence. Il va encore plus loin pour montrer que l’ensemble des éléments qui constituent le concept « Hyperloop » se retrouve dans des développements très longs et très anciens, pour beaucoup techniquement très avancés, et qui n’ont pas abouti, à la fois pour des raisons économiques et techniques.
Hyperloop : incohérences et impasses techniques
Un problème auquel sera confronté l'Hyperloop est que le gain de temps apporté par une augmentation de vitesse décroît avec la vitesse alors qu’un certain nombre de paramètres dimensionnant le système croissent comme le carré, le cube, voire plus, de la vitesse. En plus de cela, le débit (nombre de passagers par heure) de la ligne Hyperloop est catastrophique.
L’espacement de sécurité entre trains doit par exemple prendre en compte la distance de freinage en urgence. Or, à décélération identique, la distance d’arrêt d'un Hyperloop croît comme le carré de la vitesse. Pour un TGV à 300 km/h, il faut un minimum de 3,3 km, alors qu'avec une décélération identique, cette distance de sécurité devient 10 km pour un véhicule (Hyperloop) circulant à 900 km/h. Ainsi, là où les systèmes ferroviaires à grande vitesse actuels permettent un espacement à 3 mn, soit un débit théorique de 20 trains à l’heure, l'Hyperloop, avec un débit théorique de 10 navettes à l’heure, ne devrait pas pouvoir faire mieux.
Cela est aggravé par la capacité unitaire des véhicules de l'Hyperloop. Pour une rame TGV Duplex en unité multiple, ce sont plus de 1000 voyageurs par circulation, alors que pour de multiples raisons, chaque navette Hyperloop se limite à moins de 100 voyageurs dans les projets actuels, ce qui représente ainsi, au mieux, 10 fois moins de capacité par circulation pour l'Hyperloop. Ainsi, au total, le débit théorique du système Hyperloop (1000 passagers par heure) est 20 fois inférieur au débit théorique du système TGV (20 000 passagers par heure). Ce qui, comme le souligne M. Lacôte, est un bilan économique complètement impossible, même avec un coût d’infrastructure proche de celui du système TGV, alors qu’il lui est très largement supérieur.
Côté technique, l'expert français de l'industrie ferroviaire a également exprimé des inquiétudes sur :
- la sécurité du système : comment est réalisée la sécurité du freinage ? Quelle disposition technique est envisageable pour le secours des voyageurs dans un tunnel de plusieurs centaines de kilomètres vide d’air, en cas d’incident comme une panne d’alimentation électrique, de signalisation, de motorisation ou tout autre évènement conduisant à l’immobilisation prolongée de la navette ? Faut-il imaginer un réseau d’air comprimé avec une multitude de portes étanches régulièrement réparties tout au long du tunnel pour permettre une réalimentation en air d’une section incidentée et occupée par une navette ?
- la transition mobile/station : comment passera-t-on d’un environnement vide d’air à une station à la pression atmosphérique ?
- la géométrie de la voie : la très grande vitesse envisagée (900 km/h) implique un tracé quasi rectiligne de la voie, aussi bien en plan qu’en altimétrie ; et
- la pression d’air dans le tunnel.
Sources : La Lettre du Cheminot, Avis d’expert de François Lacôte
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