En clair, un programme est un logiciel libre si vous, en tant qu’utilisateur, avez ces quatre libertés essentielles :
- la liberté de faire fonctionner le programme comme vous voulez, pour n'importe quel usage (liberté 0) ;
- la liberté d'étudier le fonctionnement du programme, et de le modifier pour qu'il effectue vos tâches informatiques comme vous le souhaitez (liberté 1) ; l'accès au code source est une condition nécessaire ;
- la liberté de redistribuer des copies, donc d'aider les autres (liberté 2) ;
- la liberté de distribuer aux autres des copies de vos versions modifiées (liberté 3) ; en faisant cela, vous donnez à toute la communauté une possibilité de profiter de vos changements ; l'accès au code source est une condition nécessaire.
Certains développeurs se proposent de mettre des restrictions d'usage dans les licences de logiciel pour interdire l'utilisation du programme à certaines fins, mais aller dans ce sens serait désastreux. Dans un billet de blog, Richard Stallman a expliqué pourquoi la liberté 0 ne doit pas avoir de limite.
Pourquoi la liberté d’exécuter un programme doit être totale ?
Stallman note « Qu’avant toute chose, soyons clair sur ce que signifie la liberté 0. Elle signifie que les termes de distribution du logiciel ne limitent pas la manière dont on l'utilise. Elle ne vous dispense pas d'obéir aux lois. Par exemple, la fraude est un délit aux États-Unis – une loi que j'estime juste et adéquate. Quoi que dise la licence, utiliser un logiciel libre pour frauder ne vous protégera pas des poursuites ». D’ailleurs, il rappelle qu’une clause de licence contre la fraude serait superflue dans un pays où c'est un délit.
Et même si les personnes à l’origine du logiciel libre voulaient mettre des clauses morales (par exemple « ne pas utiliser pour la torture », ou alors pour des activités privées particulières), Stallman pense que cela n’est pas judicieux :
« Une clause contre la torture ne fonctionnerait pas parce que ce sont les services de l'État qui font appliquer les licences de logiciel libre, quelles qu'elles soient. Un État qui veut pratiquer la torture ne tiendra pas compte de la licence. Quand des personnes victimes de torture de la part des États-Unis essaient d'attaquer le gouvernement américain en justice, les tribunaux prononcent un non-lieu au motif que le traitement qu'elles ont subi est un secret touchant à la sécurité nationale. Si un développeur de logiciel essayait d'attaquer le gouvernement américain en justice pour avoir utilisé un programme dans le but de pratiquer la torture, en contravention avec sa licence, ce procès aboutirait aussi à un non-lieu. En général, les États sont pleins d'astuce lorsqu'il s'agit de se donner des excuses légales pour les choses terribles qu'ils veulent faire. Il en est de même pour les entreprises pourvues de lobbies puissants.
« Et si la clause s'opposait à quelque activité privée particulière ? Par exemple, PETA a proposé une licence qui interdirait l'utilisation du logiciel pour causer de la douleur à des animaux à colonne vertébrale. Ou bien il pourrait y avoir une clause contre l'utilisation d'un certain programme pour faire et publier des dessins de Mahomet, ou pour expérimenter sur les cellules-souches embryonnaires, ou encore pour faire des copies illicites d'enregistrements musicaux.
« Il n'est pas sûr que ces clauses soient applicables. Les licences de logiciel libre sont basées sur le droit du copyright, et essayer d'imposer des conditions d'usage de cette façon revient à repousser la limite de ce que permet le droit du copyright, la repousser de manière dangereuse. Est-ce que vous apprécieriez que les livres comportent des clauses de licence se rapportant à que vous pouvez faire avec l'information qu'ils contiennent ? »
Et si de telles clauses étaient applicables, est-ce que ce serait une bonne chose ?
Pour Stallman, la réponse est négative.
Stallman rappelle que tout est question de perspectives : « En réalité les gens ont des idées très différentes sur l'éthique des activités qui peuvent être pratiquées à l'aide de logiciel. Il se trouve que, personnellement, je considère ces quatre activités non conventionnelles comme légitimes et pense qu'elles ne doivent pas être interdites. Je soutiens notamment l'utilisation de logiciel dans l'expérimentation médicale sur les animaux, et dans l'industrie de la viande. Je défends les droits de l'homme dont jouissent les activistes des droits des animaux, mais ne suis pas d'accord avec eux. Je ne voudrais pas que PETA ait gain de cause en ce qui concerne les restrictions d'usage du logiciel ».
Il s’est alors lancé dans une tirade qui s’apparente à la formule longtemps attribuée à Voltaire (mais qui serait de l’Anglaise Evelyn Beatrice Hall) : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »
Stallman explique que de la même manière qu’il n’est pas contre les entreprises d'une manière générale, il s'opposerait à toute restriction de l'usage commercial. Selon lui, un système qu'on pourrait seulement utiliser pour le divertissement, les loisirs et l'école serait interdit à une grande part de nos activités informatiques.
« Si nous acceptons de mettre des programmes comportant des restrictions d'usage dans un système d'exploitation libre comme GNU, les gens inventeront une multitude de restrictions d'usage. Il y aura des programmes interdits dans les abattoirs, des programmes interdits uniquement pour les cochons, des programmes interdits uniquement pour les vaches et des programmes réservés à la nourriture kascher. Une personne qui déteste les épinards pourrait écrire un programme autorisant la préparation de tous les légumes sauf les épinards, alors qu'un fan de Popeye autoriserait uniquement celle des épinards. Il y aurait des lecteurs de musique réservés au rap et d'autres à la musique classique.
« Il en résulterait un système qu'on ne pourrait pas considérer comme polyvalent. Chaque fois qu'on se proposerait d'effectuer une tâche, on devrait vérifier un tas de licences pour voir quelles parties du système sont hors limites pour cette tâche particulière ».
Le stylo qui ne peut servir qu’à écrire de belles choses ?
Et de rappeler que si vous fabriquez quelque chose qui est d'usage universel, comme un stylo, les gens l'utiliseront pour écrire toutes sortes de choses, même des choses horribles, comme l'ordre de torturer un opposant ; mais vous ne devez pas avoir le pouvoir de contrôler les actions des gens par le biais de leurs stylos. C'est la même chose pour un éditeur de texte, un compilateur ou un noyau.
Et pour ceux qui resteraient sceptiques, il leur rappelle qu’ils ont tout de même l'occasion de déterminer l'utilisation qui peut être faite de leur logiciel : lorsque vous décidez quelles fonctionnalités implémenter. Vous pouvez écrire des programmes qui se prêtent surtout aux usages que vous estimez positifs, et vous n'avez aucune obligation de programmer des fonctionnalités qui pourraient se prêter à des actions que vous désapprouvez.
Aussi, sa conclusion est évidente : un programme ne doit pas restreindre les tâches que ses utilisateurs peuvent effectuer avec son aide. La liberté 0 doit être totale. Nous avons besoin d'arrêter la torture, mais nous ne pouvons pas le faire avec des licences de logiciel. Le rôle des licences de logiciel est d'instaurer et de protéger la liberté des utilisateurs.
Source : billet Richard Stallman
Et vous ?
Pensez-vous qu'un logiciel libre devrait être en mesure de restreindre les tâches que ses utilisateurs peuvent effectuer avec son aide ?
Utilisez-vous un logiciel libre ? Lequel ?
Est-ce par choix ou par contrainte professionnelle ?
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