Une situation qui ne convient pas du tout à l’Europe. Rappelons que ces failles du système ont permis à Google d’échapper à un redressement fiscal de l’ordre du milliard de dollars, malgré tout l’effectif déployé pour coincer le numéro un de la recherche en ligne. Une optimisation fiscale qui a été possible notamment grâce au critère d'établissement stable évoqué par le rapporteur qui est utilisé pour déterminer quel pays a le droit d'imposer les revenus d'une multinationale. Il désigne « une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité », d'après l'OCDE.
Pour Bercy, la définition d’établissement stable repose sur les critères suivants :
- existence d'une installation d'affaires, c'est-à-dire d'éléments tels que des locaux, du matériel, de l'outillage, un emplacement... dont l'entreprise a la disposition ;
- l'installation d'affaires doit être fixe, donc établie en un lieu précis avec un certain degré de permanence et non pas de façon purement temporaire. Mais l'appréciation doit, bien sûr, être faite en tenant compte des caractéristiques des activités en cause ; une installation de courte durée peut ainsi présenter le caractère d'un établissement stable si la brièveté de son existence est due, par exemple, aux particularités de ses activités ou à de mauvais résultats ;
- l'installation d'affaires doit avoir une activité propre, ce qui implique normalement la présence sur place de personnel de l'entreprise.
En septembre 2017, les ministres des Finances de l’Union européenne (UE) se sont concertés au sujet d’une modification des règles qui devrait permettre de réajuster le montant des taxes que les entreprises technologiques de l’Internet comme Facebook, Google ou Amazon devront payer dans les États membres de l’UE où elles opèrent. Ce projet de loi a été initié par l’Estonie qui occupe actuellement la présidence tournante de l’organisation européenne.
Au sortir de cette réunion, l’idée d’imposer de nouvelles méthodes de taxation, qui cibleraient spécifiquement ces multinationales, a rencontré des résistances : « ;Il faut être très prudent ;», a déclaré le ministre des Finances du Danemark, Kristian Jensen. Ce dernier estime que l’adoption de pareilles mesures de taxation pourrait faire fuir d’Europe les sociétés innovantes. De son côté, le ministre des Finances du Luxembourg, Pierre Gramegna, a insisté sur la nécessité d’obtenir un accord global au niveau européen. La République tchèque et Malte ont, pour leur part, estimé que la taxation du chiffre d’affaires telle qu’elle est envisagée par la partie française était plutôt difficile à mettre en œuvre au regard de certains aspects techniques.
Si, de leur côté, les États-Unis se sont d’abord montrés contre une avancée dans ce sens, Pascal Saint-Amans, directeur du centre de la politique et de l'administration fiscale de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), a confirmé que l'attitude de Washington a changé ces derniers jours. « Les nouvelles sont que les États-Unis vont s’asseoir à notre table pour ne pas bloquer la discussion, mais au contraire, la conduire et essayer de limiter les dommages que ces taxes pourraient causer », a-t-il dit. La Commission européenne devrait présenter l'année prochaine des propositions pour taxer les géants de la technologie, et la France menace également d'imposer des taxes bien plus lourdes – non sur les bénéfices, mais sur les revenus des entreprises, rappelle Saint-Amans. Washington sait donc que « les pays agiront unilatéralement et préfèrent donc s'impliquer lui-même », a-t-il dit.
Cependant, Washington s’est opposé à cette idée française : samedi, le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, a montré son désaccord face à la proposition française de taxer les géants du numérique sur leur chiffre d'affaires, estimant que cette mesure n'était pas pertinente. « Je pense qu'une taxe sur le chiffre d'affaires n'est pas logique et que cela ne va pas dans la bonne direction », avait affirmé Steven Mnuchin lors d'une conférence de presse au terme de la réunion annuelle du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale à Washington. « Les entreprises américaines sont imposées partout dans le monde », a assuré le secrétaire au Trésor. « Il ne s'agit donc pas que les entreprises du numérique ne soient pas taxées », a-t-il ajouté, affirmant qu'elles aussi étaient taxées « à différents endroits » et de différentes manières dans le monde.
La mesure pourrait en effet être un problème pour les entreprises ne dégageant pas de bénéfices, comme Netflix. La commissaire européenne en charge de la concurrence a elle aussi souligné cette difficulté, notamment les startups, qui génèrent peu ou pas de chiffre d’affaires, leur modèle économique étant en cours de construction. Elle avait aussi évoqué le souci de la double imposition avec l’impôt sur les sociétés.
« J'ai parfaitement conscience sur ce sujet que le chiffre d'affaires n'est pas forcément la meilleure base taxable ». Mais « la proposition française a le mérite d'avoir accéléré le débat » et d'avoir « relancé la négociation », a indiqué ce mardi le ministre français des Finances, Bruno Le Maire. « Pour une fois, sur un sujet qui est difficile, où il y a des enjeux de fiscalité qui se chiffrent en dizaines de milliards d'euros, l'Europe a pris le leadership », s'est-il félicité.
Le ministre a affirmé ce mardi vouloir aboutir à un accord sur la taxation des géants du numérique « d'ici deux ans », estimant qu'un tel mécanisme représentait « un enjeu symbolique majeur » pour l'Union européenne. « Il faut que d'ici deux ans il y ait un outil européen de taxation du numérique qui soit mis en place. Deux ans me paraît un délai raisonnable. »
Source : Le Figaro