La semaine de 35 heures a été au centre des débats de la loi Travail l'an dernier, mais aussi des élections présidentielles en France. En effet, depuis 2002 en France, la durée légale du temps de travail pour un salarié à temps plein dans une entreprise est fixée à 35 heures par semaine au lieu de 39 heures précédemment. La France est donc parmi les pays en Europe où l'on travaille le moins. Et pour certains politiques, la France serait donc moins productive que ses voisins européens. Devrait-on donc travailler plus pour être plus productif ? Ou moins ? D'après certaines études empiriques, il semble en tout cas que la productivité baisse au-delà des 40 heures par semaine. Ainsi, beaucoup voient les 40 heures comme une référence. Mais il faudrait peut-être prendre toutes ces études avec du recul.
D’après Luis Pedro Coelho, un bio-informaticien au laboratoire européen de biologie moléculaire EMBL, il n’y a en effet aucune étude qui montre réellement que les gens produisent plus en travaillant plus de 40 heures par semaine. Ce n’est pas qu’aucune étude ne prétend cela, mais c’est surtout parce qu’elles ne peuvent pas le démontrer selon lui, et pour certaines raisons.
D'abord parce que c'est difficile de mesurer le temps de travail effectif. Luis Pedro Coelho estime que les gens mentent au sujet de leur durée de travail pour se conformer aux attentes des études. Et même quand ils essaient d’être honnêtes sur cette question, ils considèrent le temps passé au travail comme le temps de travail même s'ils ont consacré beaucoup de temps à des activités non productives. Il peut également être difficile de définir la frontière entre le travail et le non-travail, explique-t-il.
Il y a un travail évident, comme le fait d’exécuter une tâche dans le cadre de son travail. Il y a aussi un non-travail évident, comme le fait de passer 30 minutes le matin à lire des articles sur Internet en étant assis à son bureau. Mais d’après Luis Pedro Coelho, il y a aussi une vaste zone grise qui n’est pas comptée dans la durée de travail : le fait par exemple d’écrire un utilitaire pendant son temps libre, que l’on va utiliser intensivement au travail. En d’autres termes, pour être productif au travail, on peut utiliser des outils qu’on a soigneusement développés à la maison. Et le temps passé à développer ces outils ne sera pas comptabilisé dans la durée de travail effective. Par contre, celui qui travaille peut-être 60 heures par semaine n’aura pas le temps de développer de tels outils à la maison, parce qu’il voudra utiliser son temps libre pour se reposer. Dans certains domaines, celui qui travaille peut-être 40 heures peut donc être plus productif qu’un autre qui travaille 60 heures, parce qu’il a développé pendant le temps libre dont il dispose des outils pour être plus productif.
Luis Pedro Coelho note également que dans les différentes études, les auteurs jouent sur la définition de productivité pour promouvoir leurs croyances politiques ou personnelles. Il n’est toujours pas clair s’il s'agit de la production par heure ou la production par semaine. Quoi qu’il en soit, il faut savoir que la productivité marginale commence à baisser bien avant de devenir négative (dans certains domaines). Ainsi, si une entreprise recrute des personnes qui sont payées à l'heure, elle voudra que ces dernières aient des semaines de travail plus courtes, sachant qu'au-delà d'une certaine durée de travail, ces personnes ne seront plus efficaces. Mais si les salaires sont fixés sur une base mensuelle, l’entreprise voudra logiquement des semaines de travail plus longues.
Qu’en est-il pour les développeurs ?
Ce qu'il faut retenir de l'argumentation de Luis Pedro Coelho, c'est que vous pouvez produire plus si vous travaillez 60 heures au lieu de 40 heures par semaine, mais la production effectuée dans ces 20 heures supplémentaires ne serait qu'une petite fraction de ce que vous aurez fait par exemple en 20 heures pendant une semaine de 40 heures. C'est sans doute vrai pour de nombreux emplois, par exemple pour un ouvrier qui décharge des camions pendant 40 heures. Si sous le poids de la fatigue, au-delà des 40 heures, il ne décharge plus qu'un camion par heure au lieu de trois camions, il va quand même décharger plus de camions s'il travaille pendant 50 heures au lieu de 40.
Mais pour les développeurs, travailler plus peut littéralement réduire leur production globale. Plutôt que d'avoir une productivité décroissante (qui permet toujours d’accroitre leur production globale), ils peuvent avoir une productivité négative. Comme certains aiment le dire, rappelons en effet que développer, c'est aussi l'art de créer des bogues. Donc, si un docker va toujours décharger plus de camions en travaillant plus, le développeur est quant à lui susceptible d'introduire plus de bogues dans son code, lorsqu’il est sous le coup de la fatigue, après avoir déjà travaillé pendant de nombreuses heures. En travaillant plus qu’il ne devrait, cela aura un impact négatif sur le délai de livraison du logiciel qu'il développe, alors que l’objectif était de pouvoir le livrer le plus tôt possible. Dans l’autre cas, il passera plus de temps à corriger des bogues dans un logiciel en production.
Source : Luis Pedro Coelho
Et vous ?
Que pensez-vous des arguments de Luis Pedro Coelho ?
La durée de travail devrait-elle être définie en fonction du domaine, la branche, le métier ?
Quelle est votre opinion sur le débat sur les 35 heures de travail en France ?
Les travailleurs sont-ils plus productifs lorsqu'ils travaillent plus de 40 heures par semaine ?
Qu'en est-il des développeurs ?
Les travailleurs sont-ils plus productifs lorsqu'ils travaillent plus de 40 heures par semaine ?
Qu'en est-il des développeurs ?
Le , par Michael Guilloux
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