Cinq mois après les « Panama papers », les partenaires de l’ICIJ, parmi lesquels le quotidien Le Monde, ont eu accès à de nouveaux documents confidentiels sur le monde opaque des paradis fiscaux : les « Bahamas Leaks ». Ces documents qui sont en possession du quotidien allemand Süddeutsche Zeitung portent sur 175 480 structures offshore enregistrées aux Bahamas entre 1959 et 2016. Ils dressent l’équivalent d’un « registre du commerce » pour ce paradis fiscal opaque, levant le voile sur l’identité des administrateurs de certaines de ces sociétés, jusque-là anonymes.
Parmi les personnalités touchées par le scandale figure Neelie Kroes. Classée cinq années de suite parmi les femmes les plus puissantes du monde par le magazine Forbes, Neelie Kroes, ex-commissaire européenne à la concurrence (2004-2009) de la Commission Barroso, a été directrice, entre 2000 et 2009, de Mint Holdings Limited, une société enregistrée aux Bahamas. En clair, durant son mandat, l’ancienne commissaire européenne, qui était à ce titre chargée de surveiller le monde des affaires, a été directrice d’une société aux Bahamas.
Pourtant, concernant le volet relatif aux activités extérieures pendant la durée du mandat, le code de conduite des commissaires européens dispose que « les membres de la Commission ne peuvent exercer aucune autre activité professionnelle, rémunérée ou non ».
Les commissaires européens doivent, au début de leur mandat, non seulement renoncer à toutes leurs fonctions de direction mais aussi notifier dans un registre public toutes celles, ayant donné lieu ou non à un paiement, exercées les dix années précédentes. Pourtant, Le Monde indique que, selon ses informations, l’existence de cette société offshore n’a jamais été révélée aux autorités bruxelloises.
Neelie Kroes
Enregistrée au mois de juillet 2000 auprès des autorités bahamiennes, Mint Holdings aurait dû servir à une grosse opération financière qui consistait à racheter plus de 6 milliards de dollars d’actifs à la branche internationale énergie d’Enron, dans le cadre de l’opération « Project Summer ».
Cette opération devait être financée principalement par des investisseurs proches de la famille royale des Emirats arabes unis ainsi que par des hommes d’affaires saoudiens. L’état bancal des comptes de la société américaine Enron ainsi que des problèmes de santé du principal investisseur du projet – l’ancien président des Emirats arabes unis, Zayed Al-Nayane, mort en 2004 – ont eu raison du rachat.
Si elle admet que sa non-déclaration à la Commission était un oubli, l’ex-ministre néerlandaise des Transports assure avoir abandonné en 2002 son poste au sein de Mint Holdings et avoir quitté cette entreprise en 2004 au début de son premier mandat en tant que commissaire européenne. Elle précise donc que le fait qu’elle soit mentionnée en tant qu’administratrice de la société jusqu’en 2009 « était une erreur administrative » : sa présence en tant que directrice aurait dû, selon elle, être supprimée dès 2002.
Cependant, selon les quotidiens néerlandais Trouw et Het Financieele Dagblad, elle a reconnu avoir été « officiellement en infraction avec le code de conduite des commissaires européens ». Aussi, l’ex-commissaire se dit « prête à assumer l’entière responsabilité » de cette omission et en a informé l’actuel président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.
« La Commission européenne cherche à avoir des clarifications » a déclaré Margaritis Schinas, porte-parole de la Commission européenne, lors d'un point presse à Bruxelles. « Une fois tous les faits sur la table, la Commission va décider des actions à entreprendre », a-t-elle continué. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a signé jeudi une lettre pour demander des clarifications à Neelie Kroes, commissaire à la Concurrence entre 2004 et 2009 avant d'être vice-présidente jusqu'en 2014 de la Commission européenne présidée alors par José Manuel Barroso, a ajouté Margaritis Schinas.
Actuellement conseillère rémunérée de Bank of America et d'Uber, l'ex-commissaire s'est fait une réputation à Bruxelles, dans le cadre de sa lutte contre les positions dominantes sur les marchés, en s'en prenant à Microsoft ainsi qu'aux groupes énergétiques E.ON et GDF Suez, entre autres.
Source : Le Monde, code de conduite des commissaires européens (au format PDF)