
Le ministre n’a pas manqué de rappeler que de nombreux messages échangés en vue de la commission d’attentats terroristes « le sont désormais par des moyens cryptés, ce qui rend difficile le travail des services de renseignements ». Il a insisté sur le fait qu’il s’agit là d’un enjeu considérable dont la gravité est d’ailleurs mise en exergue par les interpellations récentes ainsi que les enquêtes conduites par les services de renseignement.
Toutefois, dans une tribune publiée sur Le Monde le 22 août dernier et traduite en allemand pour le journal Heise le 23 août 2016, les présidents du Conseil national du numérique (CNNum) et de la CNIL ont mis en garde le gouvernement face à « des solutions de facilité qui pourraient avoir des conséquences graves et non anticipées ». « Limiter les moyens de chiffrement ou instaurer des « portes dérobées » pour permettre aux forces de l’ordre d’accéder aux données chiffrées de nos applications affaiblirait la sécurité des systèmes d’information dans leur ensemble tout en ayant une efficacité limitée. L’urgence de la situation ne doit pas nous conduire à sous-estimer ces risques ni à faire l’impasse d’un débat sur les implications politiques, sociales et économiques d’une limitation du chiffrement ».
Reconnaissant le contexte dans lequel baigne la France avec les attentats qui ont été perpétrés ces vingt derniers mois, le CNNum a tout de même voulu mettre un frein à l’initiative que prépare le ministre de l’Intérieur : « il n’est pas question de nier qu’un chiffrement robuste peut compliquer le travail des enquêteurs, surtout lorsqu’il s’opère de bout en bout, c’est-à-dire lorsque le fournisseur du service ne détient pas les clés de déchiffrement. Néanmoins c’est sans compter sur la réalité concrète de l’organisation des réseaux et l’importance de la sécurité en ligne ».
Comme l’a fait l’ANSSI avant, le Conseil a tenu à rappeler l’importance du chiffrement : « comme tout objet technique, le chiffrement est tout à la fois remède ou poison selon qu’il tombe entre de bonnes ou de mauvaises mains. Les applications de messagerie sécurisée utilisées par les terroristes – notamment Telegram – sont également très prisées par les politiques et au sein des ministères, par les entreprises et les citoyens ! Et pour cause : le chiffrement est essentiel à notre sécurité dans l’univers numérique.
Chaque jour, le chiffrement protège des milliards d’individus contre des cybermenaces qui se font toujours plus redoutables. Il est donc le levier majeur de la confiance dans l’univers numérique. C’est grâce au chiffrement que nous pouvons effectuer un virement bancaire en toute sécurité. C’est grâce au chiffrement que nous pouvons stocker nos données de santé dans un dossier médical partagé (DMP) en ligne. C’est également grâce à cet outil que les investigations sur les Panama Papers ont été possibles, le chiffrement permettant de garantir le secret des sources. Pour les entreprises, le chiffrement est aujourd’hui le meilleur rempart contre l’espionnage économique qui a fait perdre plus de 40 milliards d’euros aux entreprises françaises en 2013. Les petites et moyennes entreprises sont les premières victimes de ces cyberattaques, car elles n’ont généralement pas les moyens d’un chiffrement robuste ».
Alors, il n’est pas question d’affaiblir le chiffrement. Le Conseil balaie également le fait d’installer des portes dérobées à des fins de sécurité, rappelant que l’ANSSI avait déjà fait valoir qu’il est techniquement impossible de s’assurer que de tels accès ne soient disponibles qu’au profit des personnes autorisées. De plus, le CNNum avance « qu’il y a fort à parier que de telles mesures auraient une efficacité toute relative sur l’infime minorité d’utilisateurs ciblés ».
Le CNNum ne voit pas le chiffrement comme un obstacle infranchissable, bien qu’il reconnaît qu’il complique l’accès à certaines informations : « d’une part, il est souvent possible de contourner le chiffrement, même s’il est très robuste, en exploitant des failles techniques ou en s’introduisant directement dans l’équipement de la personne ciblée. D’autre part, si le contenu des communications est chiffré, les métadonnées, elles, restent le plus souvent en clair : qui échange avec qui ? Quand et combien de temps ? Où était-il ou elle localisé(e) ? Ces données répondent aux questions les plus importantes sur nos habitudes, nos fréquentations, nos centres d’intérêt, nos opinions »
Aussi, au lieu d’emprunter la voie d’un affaiblissement du chiffrement ou de l’installation des portes dérobées, le CNNum invite à la coopération avec les fournisseurs de produits et de services sécurisés dans l’accès judiciaire aux données. Le CNNum propose de travailler à renforcer les règles de coopération judiciaire, en particulier les mutual legal assistance treaty (MLAT) – accords bilatéraux entre États qui permettent l’échange d’informations et de données lors d’enquêtes en cours – afin de réduire ces délais de transmission. « C’est ce qui devrait être le sens d’une initiative internationale », indique le Conseil.
Source : tribune CNNum